Outils personnels
Vous êtes ici : Accueil ERNEST GRAVY et le « Patrimoine Preslois » asbl Dossiers La guerre 1914-1918 Signes avant-coureurs de la déclaration de la guerre de 1914
Navigation
« Novembre 2024 »
Novembre
LuMaMeJeVeSaDi
123
45678910
11121314151617
18192021222324
252627282930
 

Signes avant-coureurs de la déclaration de la guerre de 1914

Signes avant-coureurs de la déclaration de la guerre de 1914 1



Ce récit d’août 1914 à Presles, relate les souvenirs d’un enfant de moins de 6 ans. Bien sûr, ces événements tellement exceptionnels ont frappé l’esprit de ce petit garçon. Sa famille a dû racon­ter, rappeler, ressasser ces faits si marquants. C’est donc à travers la manière de voir de toute cette famille qu’il faut lire ce texte.

(Ndlr. En outre, Ernest Gravy a écrit ce texte plus de 60 ans après les faits.)

 

Nous étions en juillet 1914. Les journées étaient radieuses. Le soleil brillait de tout son éclat, répandant sa chaleur.

La nature était tout en fête. Les prés, les champs, les terrains vagues étaient envahis par une flore des plus variées et des plus sauvages. Les campagnes couvertes d’emblavures de blé, froment, avoine, des plantations de pommes de terre, betteraves, fourragères et sucrières piquetées du rouge des coquelicots et du bleu des bleuets, promettaient de belles récoltes à leurs propriétaires.

Dans la rosée du matin, encore enfant, je vagabondais dans les prés du Cuvlî  (Arthur Wauthier) à la recherche des baloûjes dit Sint Djan2 dormant collés sur les feuilles des jeunes peupliers qui venaient d’être plantés en bordure de la prairie située entre la rue Al Croix et la rue de la Bergère.

Là-bas, vers l’est, l’horizon était troublé. L’Europe était inquiète, mais nous étions encore trop petits et trop jeunes pour comprendre ce qui pouvait et allait se produire dans les prochains jours. Nos parents ne s’en rendaient pas très bien compte non plus.

Les nouvelles colportées par les rares journaux, que nous ne savions pas lire, faisaient les frais des conversations, étaient commentées par tous les habitants de notre village.

À leur mine renfrognée, nous nous imaginions quelque chose de grave, sans savoir ce que cela pouvait être.

C’est dans cette ambiance plus ou moins morose, anxieuse aussi, que se passèrent les der­nières semaines du mois de juillet 1914. Des alertes semblables avaient été vaines à plusieurs reprises. On pensait qu’une fois de plus, tout cela allait s’arranger.

Pour nous, ce fut tout un événement, rempli d’inquiétudes, en voyant partir nos amis et parents : Lucien Delforge, Servais Marchand, Omer Jacquy, René Jacquemain, Gustave Jacquy, Jean-Baptiste Marchand, Hector Mollet et tant d’autres Preslois, revêtus de leur tenue militaire, cer­tains étant affectés à des compagnies de réserve.

Nous avions déjà vu des soldats en manœuvres ; chasseurs à pied, lanciers à cheval, etc. qui passaient ou stationnaient dans notre village. Pour nous, c’était attrayant de regarder tous ces jeunes hommes portant l’uniforme et des armes, souvent entraînés par une musique militaire. Nous ne nous imaginions pas combien cela devait être effrayant et terrible en cas de conflit armé.

***

Les premières journées du mois d’août 1914

Le mois d’août est arrivé et le soleil est au rendez-vous. Rares seront les journées qui ne seront pas ensoleillées pendant ce mois.

La population vit dans la peur et l’appréhension de la guerre.

Le Kaiser allemand, Guillaume 1er, a déclaré la guerre à la France. Il vient de lancer un ultima­tum à Albert 1er pour obtenir le passage de ses troupes sur notre territoire national.

Notre souverain a refusé catégoriquement de satisfaire à sa demande.

Nous étions le 4 août, il fut annoncé que notre frontière avait été violée par les Allemands.

À cette nouvelle, il se produisit dans la population un grand émoi de stupéfaction.

Presles fournira son contingent de soldats. En partant de leur village natal, tous sont dans l’incertitude d’y pouvoir revenir un jour.

Dès l’instant où la mobilisation est décrétée, le travail ralentit dans les usines, les charbon­nages et autres établissements industriels.

La Garde civique est appelée à seconder la gendarmerie.

Mais, à Presles, comme il n’y a pas de Garde civique et qu’il n’y a qu’un garde-champêtre, des hommes seront réquisitionnés par les autorités communales. Pour les distinguer, ils porteront au bras un brassard blanc, estampillé du sceau communal. Leurs prestations se limiteront à faire des patrouilles sur les routes.

Des postes de surveillance seront établis en certains endroits de la commune, notamment à la Bergère, où un gros chêne en bordure du bois sera abattu au travers du chemin. Ses branchages entraveront la circulation, ne laissant qu’un étroit espace vide pour le passage d’un chariot.

Les Preslois désignés pour faire bonne garde, sont armés de fusils - pour la plupart des armes de chasse - d’autres portent une arme de fantaisie, voire même des fourches, tridents, haches, bâtons, etc.

Comme la gauloiserie ne perd jamais ses droits, certains riaient de leur équipement et disaient même « mi, dj’ai in fusik qui tire dins lès toûrnants »3.

Un poste semblable sera établi sur la route de Fosses ; il était situé entre le Tournant dange­reux et la carrière de la Falige, pour être plus précis, le barrage se trouvait en face de la mai­son de la famille Sauvelon.

À cet endroit, deux grands chars servant à rentrer les foins ou les pailles entravaient la route, ne laissant qu’une chicane entre eux.

Des Preslois, armés de ce qu’ils avaient pu trouver en tant qu’armes, montaient la garde et patrouillaient sans trop savoir ce qu’ils auraient pu faire s’ils s’étaient trouvés en présence de l’ennemi.

Cette garde improvisée ne fut que passagère, car les Allemands considéraient ces hommes comme des francs-tireurs n’appartenant pas à une armée régulière, aussi, une ordonnance fit-elle savoir à tous les citoyens que toutes les armes qu’ils avaient chez eux devaient être déposées à la maison communale.

Il va sans dire que si certains obtempérèrent à cette réquisition, d’autres cachèrent leurs fusils et révolvers, etc., en les enterrant dans leur jardin ou en les dissimulant sous les foins et les pailles entassés dans les granges et les fenils.

Quand nous y pensons encore aujourd’hui, il faut bien l’avouer, nous nous demandons ce qu’auraient bien pu faire nos quelques malheureux concitoyens appelés à défendre le passage de notre village aux Allemands.

Les jours se succédaient, les rappelés partaient et, dans l’attente, arriva ce qui devait arriver…

L’impatience avec laquelle on attendait les Français était à son comble. Nous allions sur la grand-route guetter leur arrivée.

La veille de la grande bataille de la Sambre, des troupes françaises passèrent dans l’après-midi et le soir sur la grand-route de Namur, nommée alors rue de Fosses.

La maison de ma grand-mère se situait à quelques deux cents pas de route. Vite, nous fûmes au carrefour où se situait la maison Pouleur, dénommée en ce temps-là li maujo Pouleûr . Elle fait maintenant le coin des nouvelles rue de l’S et des Haies.

Nos voisins et ceux du quartier venaient acclamer ces vaillants petits soldats de France, ces porteurs de culottes rouges et de vestes bleues, nos défenseurs.

Mon étonnement a été grand en voyant ces soldats inconnus, aux uniformes haut en cou­leurs, coiffés du casque de cuivre jaune garni d’une queue de crins de cheval qui ondulait sur leur dos au gré de la marche de leurs chevaux.

Dans l’euphorie du moment, les civils embrassaient les militaires, aux cris répétés de « Vive les Français ! Vive la France ! ». Des friandises, biscuits, chocolats, des rafraîchissements, des fleurs aussi, étaient offerts de bon cœur aux soldats.

Les dragons furent suivis par des batteries de canons et, plus tard dans la soirée, passèrent des soldats à pied ou transportés sur toutes sortes de véhicules qui composaient le charroi du train d’infanterie.

Entre autres, il y avait des Zouaves et des soldats, le visage bronzé, dont nous pensions qu’ils provenaient de l’Afrique et devaient être des tirailleurs algériens (turcos) du corps expéditionnaire.

Tous ces combattants étaient conduits par une musique qui, vu notre âge, m’était inconnue : c’était la nouba 4.

 

Vers les cinq ou six heures de relevée, le soleil se couchait sur Châtelet, le ciel était serein et la température encore chaude.

Mes parents étaient occupés à rentrer le foin sec de la prairie de grand-mère : ce pré se situait derrière la maison. Il faut savoir qu’à la rue Al Croix, les quatre maisons où habitèrent feu mon grand-père Alexis Gravy et feu Marcel Sandron, en son temps bourgmestre de Presles, ont leur façade principale côté jardin, donc les murailles postérieures sont en bordure de la rue et le pré de ma grand-mère Mélanie Jacquet se situait en retrait de la rue.

Sur le pré, nous achevions la fenaison, la journée était à son déclin quand, tout à coup, dans l’air embaumé des senteurs de la nature, des sifflements étranges et bizarres se firent entendre au-dessus de nos têtes. Zim-zim par-ci, zim-zim par-là, et nous courûmes nous réfugier dans notre mai­son.

Ayant pris contact avec les soldats français, ceux-ci nous firent remarquer que les sifflements provenaient des premières balles allemandes.

Il était plus prudent, disaient-ils, de rester chez soi que d’aller se faire tuer bêtement par une balle perdue.

La nuit venue, il y eut une accalmie, tout était tranquille, du moins nous le supposions. Nous verrons plus loin qu’il n’en a pas été ainsi.

Autour de nous, certains voisins veillaient, ne sachant trouver le sommeil, et pensaient à ce que serait la journée du lendemain.

Après avoir soupé, je montai me coucher, m’endormis comme un enfant que j’étais et qui avais peine à comprendre dans quelle situation nous allions nous trouver à notre réveil.

Nous étions le jeudi 20 août, que nous réservaient les journées à venir ?



SUR LES CHEMINS DE L’EXODE

 

Vendredi, 21 août 1914

Notre réveil fut brutal… De bon matin (il était à peine quatre heures), de grands coups étaient frappés à notre porte et à celles de nos voisins.

À l’est, vers Le Roux, le soleil n’était pas encore levé, la lumière du jour commençait timide­ment à poindre.

Dans notre jardin, les fraisiers étaient recouverts par une forte rosée, signe et présage d’une journée chaude qui, sans jeu de mots, le serait à double effet : chaude par sa température et âpre par les événements.

Réveillée en sursaut par les coups redoublés, toute la maisonnée fut vite sur pied pour se rendre compte de ce qu’il pouvait y avoir d’urgent à cette heure matinale.

Ouvrant notre porte, un sous-officier français, probablement un sergent, s’avança, salua, nous disant aimablement sans trop nous faire peur, qu’il désirait s’assurer de l’état de solidité de notre maison et faire la visite de celle-ci.

Invité à entrer, le militaire descendit à la cave, jeta un coup d’œil dans les pièces du rez-de-chaussée, ainsi que dans les chambres à coucher.

Pendant qu’il faisait son inspection et jugeait de l’état de notre demeure, ma mère (Marie Florence) avait versé les traditionnelles tasses de café encore tiède et avait mis sur la table des verres et le litre de péket (genièvre) offert selon la tradition à tous ceux qui venaient nous rendre visite.

Tous s’étant rafraîchis, le militaire nous dit : « La maison est solide, la cave est bonne, mais… ».

Oui, il y avait un « mais », comme on pourra le voir dans les pages suivantes.

« Nous allons, dit-il, avoir sûrement à livrer une bataille. Il serait plus prudent que vous quit­tiez ces lieux car il va y avoir du danger et nous ne pouvons prévoir ce qui pourrait vous arriver si vous restiez ici. »

Sur ce, il vida son verre, nous souhaita bonne chance en nous serrant la main, m’embrassa et s’en alla faire les mêmes recommandations à nos voisins : la famille Docquier et chez Douwârd dou Canon  (Édouard Wauthiez-Mousset) et la famille Sandron.

Nous étions tous stupéfaits en entendant les dires du sergent. Dès l’instant, tous les voisins s’étaient assemblés, commentaient la nouvelle, se consultaient sur ce que nous pourrions faire pour pallier ces fâcheuses circonstances.

Quitter notre chère maison, que nous aimions le plus au monde. Abandonner les bestiaux serrait le cœur des grands-mères, et tout, et tout… ce n’était pas possible. Nous ne nous attendions pas à une chose pareille.

Les hommes, plus avertis et plus résignés que leurs femmes qui se lamentaient et pleuraient à chaudes larmes, optèrent pour quitter les lieux.

Où aller ? Personne ne pouvait le savoir. On verrait… Au fait, nos projets étaient fort peu pré­cis, nous étions à la merci des événements.

Déjà, quelques jours avant, des gens du Namurois, du pays de Liège, étaient passés à Presles, fuyant devant l’envahisseur allemand.

Ils nous disaient ce qu’ils avaient vu, entendu au cours de leur marche. Ils racontaient les atrocités commises, des dévastations incroyables, enfin des faits et gestes arbitraires qui nous fai­saient peur.

Eux, disaient-ils, fuyaient vers la France pour se réfugier en un lieu sûr et ami et trouver la sécurité avant que les Allemands ne les surprennent.

Tous ces racontars, bavardages, bobards peut-être, décidaient certains à les suivre et à prendre la route de l’exode.

À la hâte, les familles de notre quartier s’organisèrent, rassemblèrent tout ce qu’elles avaient de plus précieux, entassant et faisant des valises et des baluchons, qu’on aurait peine à porter, ne sachant pas si le voyage imprévu serait lointain ou court, car nous allions tenter l’aventure qui allait régir notre destinée. Toutefois, nous avions foi dans une victoire française et notre absence nous sembla devoir être courte.

Obéissant aux ordres de mon père, je n’arrêtais pas de pleurer en ouvrant mes cages et ren­dant la liberté à mes fauvettes Titine  et Totote , à Martin , mon merle noir à bec jaune qui sifflait dès le matin, à Titi , mon pinson et à son cousin Bébert , mon « cisèt » (tarin).

J’avais beaucoup de peine à relâcher dans la Nature tous mes oiseaux que j’aimais beau­coup et que je ne reverrais plus lorsque nous reviendrions, Dieu seul savait quand et comment.

Ce qui me toucha le plus fut d’abandonner ma tchauwe  (corneille noire) que ma cousine Thérèse Grenier et moi, gardant les vaches sur les pâturages des Waibes, avions trouvée sous un buisson. L’oiseau avait une patte cassée. Sur le champ, avec des bouts de bois, de l’argile et un mor­ceau d’un mouchoir de poche, ma cousine, s’étant improvisée vétérinaire, fit un plâtrage singulier du membre cassé.

Nous l’avions baptisée Tchawe-Tchawe  et l’avions mise dans un vieux panier à cou­vercle noir. Avec amour, je soignais la bestiole, tant et si bien que je parvins à apprivoiser l’oiseau. À mon appel, Tchawe-Tchawe s’en venait clopin-clopant chercher son morceau de pain ou de biscuit. Elle se laissait prendre et cajoler sans peur. Quand elle put voler, elle faisait sa promenade, mais revenait dans son panier.

Comme une agasse (pie), ma corneille était voleuse. Guettant grand-mère qui épluchait les pommes de terre et les coupait en morceaux dans un plat sur la table de la cuisine, Tchawe-Tchawe s’en venait d’un coup d’aile et, en sourdine, volait un morceau qu’elle allait déguster sur une branche du rambour d’automne (pommier) croissant dans le fond du pré qui faisait suite à notre jardin. Satisfaite et régalée, ma corneille s’en revenait me retrouver, vagabondant comme à mon habi­tude dans l’environnement de notre maison.

Laisser à son destin mon bel oiseau fut pour moi une grande perte. Mais que faire d’autre, mes parents étaient bien plus embarrassés que moi. Car les 25 ou 30 lapins du clapier, les 40 poules, qu’allaient-ils devenir sans nos soins ?

Le problème fut résolu, croyons-nous, en transportant tous les lapins dans l’écurie bourrée de foin et d’herbages cueillis à la hâte. Pour les poules, ce fut plus simple : elles resteraient dans le pou­lailler avec une bonne provision de graines de froment et de l’eau en abondance.

Cela se compliqua quand on songea aux deux porcs. Les betteraves n’étaient pas encore à point, les pommes de terre non plus. Tant pis, on arracha quelques brouettées de betteraves avec leurs feuilles ; des farines mélangées avec du son et tout ce qui était mangeable fut déposé avec des cuves d’eau, enfermant le tout et les porcs dans le fournil, à la grâce de Dieu.

Cela fait, ce fut un drame lorsque vint le tour de la vache Norette. Ma grand-mère ne voulait pas la laisser seule sur son pré. Elle tenait absolument à partir avec sa vache, sinon elle reste­rait en sa maison pour la soigner.

Ce fut peine et paroles perdues pour la dissuader ; tant bien que mal, Norette viendrait avec nous.

Quant à mon chien Mirza, il voyagerait en notre compagnie.

Si je m’attache à tous ces détails, c’est pour que le lecteur découvre le climat de détresse et de désolation, de crainte et de panique, qui régnait dans le village et chez tous nos concitoyens.

Enfin, ayant fait toutes nos provisions de bouche et rassemblé tout ce que nous désirions emporter, d’autres villageois et nos voisins ayant fait de même chez eux, les Familles Docquiers et Wauthiez se joignirent à nous pour prendre le chemin de l’exode.

Il était six heures du matin lorsque nous abandonnâmes notre chère maison pour prendre la route.

À l’horizon, le soleil brillait déjà, balayant la rosée tiède et réchauffant la nature et les hommes que nous étions… et qui allaient savoir ce que c’était de souffrir.



*****



Avant de vous conter notre aventure, il nous faut reculer quelque peu dans le temps pour connaître ce qui s’était passé dans la nuit.

Endormis profondément, nous n’avions entendu aucun bruit et pourtant les soldats français profitèrent des heures nocturnes pour établir une ligne de défense. Pendant des heures, ce fut, paraît-il, un va-et-vient continuel d’hommes et de matériel.

Au matin avant notre départ, nous pouvions le constater en voyant sur le bout de notre pré et celui de notre cousin Gaspard Grenier, des canons dissimulés dans les boqueteaux du remblai du tram à vapeur Châtelet-Fosses, qui avait été inauguré et mis en service un mois auparavant.

Entre notre demeure et le bloc des trois maisons (occupées actuellement par Rosalie Camberlin, Marie Thibaut, Thyrifays et Marcelle Sandron), un passage donnait accès à la rue Al Croix.

En bordure de la rue, côté maisons, à notre départ nous avions dû enjamber une ligne télépho­nique tendue à 20-25 cm du sol et accrochée à des piquets.

De l’autre côté, dans les terrains s’étendant de la route de Fosses jusqu’à la Bergère, des soldats étaient occupés à parachever des tranchées creusées pendant la nuit.

Pas de troupe armée en vue.

C’est quand nous quitterons la rue Al Croix que nous verrons des soldats blessés être éva­cués vers le château des Comtes d’Oultremont où, disait-on, une ambulance était ouverte.

Tous les moyens de transport étaient bons : nous avons vu des blessés transportés à dos d’homme, sur charrettes à cheval, ou à bras, sur une brouette, sur un vélo.

Passé le Tournant dangereux, nos cousins Joseph Gravy-Deventer et Émile Gravy-Charlier, métayers, étaient déjà partis. La cense dèl Waibe était abandonnée, toutes portes closes.

Il faudra de nouveau enjamber le câble téléphonique au débouché de la rue de Villers (actuelle­ment rue du Calvaire) pour pouvoir gagner le hameau du Coumagne.

Notre groupe était à plus ou moins deux cents pas de la Maison de pierre, cheminant avec d’autres villageois qui s’étaient eux aussi, décidés à partir.

Pour certains, la charge devenait déjà pesante dans cette première montée. Qu’adviendrait-il plus tard ?

Tout à coup, derrière nous, un officier français, galopant sur son cheval et brandissant son sabre, se met à crier : « Mes enfants, vous ne voyez pas que vous êtes dans le feu ? Sauvez-vous !... ».

Le reste de son discours, nous ne l’entendîmes pas. À cet instant, un obus passa au-dessus de nos têtes. Le déplacement d’air plaqua au sol la plupart d’entre nous.

Nous venions de recevoir le baptême du feu.

Ce premier incident aurait pu être dramatique, heureusement, aucun de nous ne fut blessé, ni tué.

Nous commencions bien mal la journée !

Dans notre malheur, il nous fallut bien rire quand nous fûmes relevés. Un fait cocasse s’était produit.

Marchant de pair avec mon petit camarade Florent Docquiers, nous nous tenions par la main. Les parents de mon ami l’avaient chargé de porter un pot de grès contenant du beurre. D’une corde passée dans les oreilles du récipient, ils avaient fait ainsi une anse improvisée.

Florent portait donc le beurrier de fortune en tenant le cordage dans sa main.

Lorsque nous fûmes renversés dans le fossé bordant la route, sous le déplacement d’air, le pot se détacha, abandonnant ses oreillons, il roula entier quelques mètres, sans se briser.

Nous étant relevés de notre chute imprévue au programme, nous vîmes Florent qui, piteuse­ment, tenait seulement dans sa main le lien avec les deux anses.

De cet incident, il fallut prendre son parti en riant. Il n’y avait heureusement que de la casse. Avouez que c’était… un manque de pot !

Le cavalier français, renversé, désarçonné aussi, rattrapa sa monture, caracola un peu et rebroussa chemin en regagnant le centre du village. Nous n’avons pu savoir d’où venait cet officier.

Il y avait des soldats français dans l’environnement du Coumagne.

L’obus dont nous avons entendu l’explosion a été tiré par une batterie allemande se trouvant au-delà d’Aiseau et il alla se perdre dans les bois de Gougnies.

En passant au carrefour, où se situe actuellement le Calvaire, nous vîmes que des canons français étaient cachés derrière les grandes haies qui, à cette époque, renfermaient les herbages.

Les artilleurs observaient l’horizon en attendant probablement l’estafette qui avait été renver­sée avec nous, qui apportait sans doute l’ordre d’ouvrir le feu.5

Ce coup de canon allemand nous fit hâter le pas, nous ne dirons pas courir, tant les porteurs de baluchons succombaient déjà sous leur charge. Le soleil qui brillait, faisait suer la plupart d’entre-nous.

Tous pensaient qu’ils seraient à l’abri sous les frondaisons des bois de Binche et de Gougnies qui, de loin, les invitaient à y entrer – toutes portes ouvertes.

Ce serait abusif de dire que le refuge était meilleur qu’ailleurs. Nous venions d’en avoir l’expérience avec cet obus allemand qui venait de passer au-dessus de nous et qui alla exploser dans les futaies. Si les tirs des batteries allemandes avaient été plus nombreux et plus suivis, nous aurions été, sous le couvert des ramures, aussi exposés au danger qu’en terrain découvert.

Néanmoins, tous croyaient que leur vie serait en sécurité en ayant un écran de protection au-dessus de leur tête. C’était à peu près la politique de l’autruche…

Mais, il faut bien l’avouer, si le bois avait été bombardé, bien peu de nous seraient restés vivants, fauchés par la mitraille, dont nous ne pouvions prévoir la chute, la dispersion des éclats ou shrapnels.

Heureusement pour nous, ce fut le seul obus tiré dans notre direction.

De l’endroit où nous étions, nous entendions au-delà d’Aiseau, tonner les canons allemands qui devaient envoyer leur mitraille vers Châtelet, peut-être aussi plus loin.

Des soldats d’infanterie, appuyés par des batteries allemandes, commençaient la bataille de la Sambre, pour en conquérir le passage et continuer plus profondément leur invasion dans nos régions.

Ce sera le seul incident sérieux que nous subirons sur les routes de notre exode.

De notre côté, au regard d’autres fuyards, nous serons des privilégiés, ne rencontrant aucune brigade française armée venant renforcer les troupes avancées tentant de résister à la pression de l’envahisseur allemand.

Les postes avancés français luttèrent pourtant avec courage et abnégation pour défendre le passage de la Meuse et de la Sambre et leurs rivages.

Succombant sous le nombre et la poussée opiniâtre des troupes allemandes, l’armée fran­çaise devra battre en retraite et laisser à leur destin nos régions.

Pendant les premières heures de bataille, nous cheminions péniblement avec des personnes de tous âges qui fuyaient avec l’espoir de se réfugier en France et qui portaient des baluchons parfois pesants et énormes pour leurs forces.

Dans le bois de Gougnies, nous étant un peu reposés après cette chaude alerte, lorsque le moment arriva de reprendre la route, se posa un problème, je dirai « familial » quoique nous ayons été témoins plusieurs fois de pareilles situations.

Norette, la vache Jersey de grand-mère, ne voulut plus rien entendre de ce voyage qui n’était pas prévu dans son programme de bonne vache laitière qui donnait du si bon lait et du beurre en ne broutant que l’herbe de son pré.

Quand nous nous remîmes en route, Norette ne voulut plus avancer. Sa maîtresse tira sur le licol, rien n’y fit. Elle lui parla et la caressa, elle ne bougea pas d’un pied. Puis elle la menaça, elle reçut des coups de bâton qui lui furent administrés et qui restèrent sans effet.

Plusieurs hommes essayèrent de la pousser, l’animal se cabra.

Après plusieurs vaines et infructueuses tentatives pour l’entraîner avec nous, ma grand-mère, tout en pleurant, dut se résigner à abandonner sa chère Norette dans les taillis du bois de Gougnies.

Des spectacles pareils, au cours de notre route, nous en serons plusieurs fois un témoin impuis­sant.

Des veaux, vaches, chèvres, moutons abandonnés, vagabondaient dans les taillis.

Esseulés, ces animaux domestiques, privés des soins journaliers, meuglaient, bêlaient à notre passage. Dans leur langage, ils semblaient nous dire : « Vous qui passez, venez me soigner. Ne voyez-vous pas que mon pis est gonflé, venez me tirer mon lait pour me soulager ».

Certaines bonnes âmes charitables, comprenant la détresse de ces animaux privés de soins, s’en allaient le seau, le pot, la casserole à la main, traire la bête et la soulager dans sa désolation. C’était aussi une ration supplémentaire à notre menu.

En cette saison d’été, la nourriture ne manquait pas et il n’y avait pas lieu de s’inquiéter qu’ils périssent d’inanition.

Seuls, livrés à eux-mêmes, le destin pouvait leur être favorable ou néfaste.

Notre Norette resta donc dans le bois de Gougnies. Qui sait ? Peut-être dans sa bonne et grosse tête de vache laitière, aurait-elle la mémoire d’un chien qui peut retrouver son chemin ? Norette retournerait-elle seule sur son pré ? Cela est une autre histoire, à laquelle nous reviendrons en son temps.

À travers bois et champs, nous gagnerons le village de Gougnies.

Sur l’herbe de la Place, à l’ombre des tilleuls, des gens venus de diverses régions, cassaient la croûte sans joie.

L’église ouverte à tout venant était remplie. Les uns priaient, d’autres se reposaient ou dor­maient.

Le curé de la paroisse allait des uns aux autres, consolant en répandant la bonne parole, réconfortant un malade et conseillant à tous de mettre leur destinée sous la protection du Sauveur, de la Vierge Marie, etc.

Et d’ailleurs, que pouvait-il faire d’autre ce brave curé de campagne, surpris lui-même et dépas­sé par les événements qui entraîneront les pays dans une guerre mondiale ?

À Gougnies, nous retrouvâmes des connaissances de Presles, de Châtelet et de bien d’autres lieux, fuyant pour les mêmes raisons que nous.

Nous quitterons Gougnies pour nous diriger vers Biesme qui semble être proche, mais qui deviendra une longue étape si on veut l’atteindre à pied et chargé de bagages.

Du château Pirmez à Gougnies à celui Toussaint à Biesme, la route qui grimpe jusqu’au pla­teau sera une dure épreuve pour les hommes les plus forts chargés de leurs fardeaux. Plus d’un parmi eux devront s’arrêter et s’y reprendre à plusieurs fois avant d’arriver sur la crête.

Et ce brillant soleil d’été qui, sans s’occuper des événements dramatiques qui se passent sur la Terre, chauffe de plus en plus fort, nous faisant suer sang et eau.

La descente de la route soulagera bien des maux pour faire notre entrée à Biesme.

Sans incident notoire, ce sera au même spectacle que nous assisterons, comme il en sera ainsi dans toute notre randonnée forcée.

À l’ombre de l’église Saint-Martin, nous chercherons une place dans les herbes sauvages pour nous reposer et manger.

L’horloge avait tourné, il était près de midi. Nos provisions de bouche furent les bienvenues. Ce seront des tartines du pain que grand-mère avait cuit dans son four, beurrées du bon beurre de notre vache et bourrées d’œufs de nos poules, que ma mère s’était occupée de cuire en omelette avec du lard.

Pour boisson, le café emporté sera bu à la régalade et tout le long des chemins des jours de notre fuite contrainte, l’eau des pompes à bras rencontrées nous rafraîchira nos sueurs et fatigues.

Ce sera à peu de choses près le même menu de tous les jours de notre exode ; les fruits des arbres fruitiers rencontrés par hasard, seront mis à profit pour compléter nos repas.

De temps à autre, une petite goutte de péket remontera le moral de tous et la défaillance de certains qui faiblissaient sous ce soleil de plomb.

Les cabarets encore ouverts étaient remplis, assaillis par une foule de pèlerins d’un tout autre genre que ceux qui, en temps ordinaire, faisaient les pèlerinages à Gerpinnes, à Fosses, à Walcourt et autres lieux saints.

L’ambiance de ces manifestations religieuses ne sera pas de notre voyage. L’anxiété, la peur aussi, serrera bien des cœurs à l’annonce d’une nouvelle.

Notre passage et notre repos à Biesme sera court. Nous reprendrons la route en nous diri­geant vers Florennes, que nous atteindrons vers les cinq heures de relevée.

Sur la Place Verte, un monde hétéroclite se mouvait entre des charrettes, des chars tirés par des chevaux de labour ou par des bœufs aussi. Des bestiaux étaient attachés aux véhicules ; des cages de volailles et de lapins étaient suspendues sous les chariots.

Sur ceux-ci, de nombreux sacs de denrées étaient entassés, sur lesquels des objets ména­gers et de la literie étaient jetés pêle-mêle dans la hâte du départ.

Sur tout cet amoncellement de vivres et de choses diverses, les patriarches, vieux et vieilles de tout âge, avec des enfants, s’étaient fait une place tant bien que mal pour être du voyage et se sauver à l’approche de l’ennemi.

Ce sera dans des cris, des pleurs, des lamentations, des hurlements, des jurons aussi, que tous ces gens, pour la plupart inconnus de nous, se côtoyaient, se déplaçaient à la recherche de Dieu sait quoi, dans cette pagaille haute en couleur mais bien triste dans les faits de la réalité.

La plupart de ces exilés en ces lieux étaient des cultivateurs-métayers qui, à nos jeunes oreilles, parlaient un patois que nous avions peine à comprendre.

Il y avait là un mélange de Namurois et de gens du pays de Liège, qui avaient pris la fuite et abandonné leur maison, leur ferme et tous leurs biens avant l’arrivée de l’ennemi commun et qui avaient fait de nombreux kilomètres avant de venir s’échouer en ces lieux.

Ce voyage, qui n’était pas d’agrément, personne n’aurait pu dire quand il se terminerait et quand on trouverait la tranquillité et la sécurité, choses que tous aspiraient à obtenir le plus tôt pos­sible.

Mais il faudra encore marcher bien des jours, des nuits même, pour aller bien loin se réfugier dans un lieu répondant à toutes les espérances de ces voyageurs émigrant de leurs villages natals ou d’adoption.

Ne nous attardant pas dans cette cohue, nous cherchâmes un gîte pour nous reposer et pas­ser la nuit.

Dès que nous fûmes sortis du bourg de Florennes, nous trouvâmes une ferme isolée et déjà abandonnée par ses occupants. Elle nous fournit le gîte pour dormir et passer la nuit.

Dormir, c’est une façon de parler, car nous dormirons bien peu cette nuit-là. La grange à moi­tié remplie de paille, était envahie par de nombreux ménages qui occupaient les meilleures places.

Ce sera sur l’aire de ce bâtiment rural qu’après l’avoir couvert de paille, nous espérâmes trou­ver un repos réparateur.

Mais la chaleur était étouffante, les pleurs des enfants en bas-âge, les plaintes et les lamenta­tions des personnes âgées ne trouvant pas une position convenable pour s’allonger, ne nous permi­rent que de sommeiller.

De plus, le passage continuel de personnes nous enjambant pour satisfaire leurs besoins naturels troubla toute notre nuit.

Nous aspirions à être au matin suivant pour ne plus voir et entendre toutes ces désolations.



*****



Samedi, 22 août 1914

À l’aube naissante, nombre d’entre nous sortirent de la grange pour respirer l’air pur des champs et des prés couverts de rosée, présage d’une journée chaude encore.

Ayant fait un brin de toilette et déjeuné sur le pouce, il était moins de six heures et nous allions assister à un drame de l’air.

En effet, au loin et là-haut dans le ciel, un avion français, touché probablement par des projec­tiles allemands - ou avait-il un défaut mécanique ? - s’abattait en flammes. Le pilote éjecté de son appareil tombait verticalement sans parachute. Dans sa chute, le malheureux aviateur resta accroché et suspendu aux potences d’un poteau téléphonique. Était-il vivant ou mort ? C’était trop loin pour que nous puissions nous en rendre compte.

Moi, encore enfant, c’était le premier aéroplane que je voyais, et encore dans des circons­tances pénibles et malheureuses.

Ici, nous nous posons la question : « Les Allemands étaient-ils déjà si près de Florennes ? ». Ou « Étaient-ce bien des projectiles d’un canon à longue portée qui avaient abattu l’avion français ? ».

Étant trop loin du point de chute, nous ne pouvions en avoir une certitude affirmative.

Ce sera en ce lieu de Florennes que nos voisins Douward dou Canon et son épouse Eugénie, voulurent rester sur place, vu leur grand âge, presque octogénaire. Nos deux voisins, fati­gués par la marche, entravés par leurs bagages, ne désiraient plus aller plus loin. Ils resteraient à Florennes, attendant les événements qui surviendraient et regagneraient leur maison par leurs propres moyens quand il serait possible de le faire.

Après avoir embrassé les vieux, nous les quittâmes sur un « au revoir », leur souhaitâmes bonne chance et les laissâmes à leur sort, ne sachant nous-mêmes quelle serait la destinée qui nous était réservée.

D’où nous étions, dans le lointain, du côté de notre village, nous entendions les tirs des batte­ries françaises et allemandes.

La bataille devait faire rage, des combats sanglants et acharnés devaient se soutenir. De part et d’autre, la lutte devait être âpre et dure.

Dans notre esprit, nous pensions à notre chère maison et ce que nous y retrouverions, si jamais un jour nous y revenions.

Des fuyards nous apportèrent des nouvelles, en nous annonçant qu’ils avaient entendu dire qu’à Tamines et dans son environnement, des atrocités avaient été commises sur les civils par les Allemands, des incendies de maisons aussi.

Ils nous invitèrent à les suivre et à gagner au plus vite le pays de France.6



En quittant Florennes, notre objectif était d’aller à Roly.

Dans ce village, nous espérions être bien reçus et accueillis chez les parents du fermier Edmond Mambour, venu s’établir à Presles, en épousant la fille du Roudje nommée Joséphine Lorent.

Sans incident quelconque, nous arrivâmes sur l’heure de midi à la ferme Mambour à Roly. Là, l’accueil qui nous fut réservé était des plus chaleureux et réconfortant.

Néanmoins, les tenanciers de la cense avaient chargé des chariots, en vue d’un départ forcé, pour évacuer les lieux dans les prochaines heures.

Ayant dîné de nos vivres, augmentés des dons de la ferme, nous avions décidé de rester la journée dans ce bourg et d’y passer la nuit afin de bien nous reposer.

Tout était calme, la vie journalière continuait son cours, perturbée seulement par de rares passages de fugitifs se dirigeant vers le sud.

On aurait cru qu’on ne verrait pas arriver la guerre dans cette région. Cependant, les habi­tants veillaient en s’attendant à ce qui ne pourrait manquer d’advenir si les Belges et les Français ne stoppaient pas les Allemands sur l’autre rive de la Meuse.

Dans sa forge, son feu de bois allumé, le forgeron de la localité œuvrait encore.

Ce fut une occasion toute trouvée pour les ménagères de faire du café et de remplir les pots et bidons vides.

À Roly, certains assuraient que des trains partaient de Chimay, emportant en France des émigrants. Cette nouvelle nous laissa indifférents car, en observant le calme qui régnait dans la région et ne voyant aucune force armée, nous nous croyions en sécurité.

Le soir venant, nous passâmes la nuit dans les dépendances de la ferme Mambour, sans être dérangés, car les fuyards étaient peu nombreux. Le lendemain, il serait encore possible de prendre la décision de poursuivre notre aventure.

Les fermiers Mambour prirent la même résolution ; ils se couchèrent, eux, dans leur lit, et nous dans le foin entassé dans un fenil.

La nuit porte conseil, dit-on. Le lendemain, après avoir dormi du sommeil du juste, nous étions encore indécis : allions-nous prendre la route ou pas ?



*****

Dimanche, 23 août 1914

Levés de bonne heure, après avoir avalé notre déjeuner, mes parents décidèrent de tenter l’aventure en cheminant vers Chimay.

La distance qui sépare les deux communes n’est pas longue. Après deux bonnes heures de marche, nous entrions dans l’ancienne capitale de la Fagne.

Là, nous allions être témoins d’un spectacle de désolation et de tristesse.

Dans la ville, nous aurons de la peine à marcher, à bouger, tant la foule est dense. Dans les rues étroites, encombrées de toutes sortes de véhicules, ce n’est qu’un va-et-vient de gens qui s’affolent, courant quand ils le peuvent, hurlant même pour se chercher, retrouver leurs proches.

Parvenus aux abords de la gare, la foule compacte rassemblée, attend avec patience mais parfois aussi avec énervement la venue problématique d’un train en partance pour la France.

Les préposés de la gare sont débordés, ne sachant que répondre aux questions des émi­grants.

Enfin, un communiqué du chef de gare nous fait comprendre qu’il est inutile de stationner davantage ; désormais, il n’y aura plus de train pour la France.

Après cet avis, il se produisit un désarroi dans la foule.

Aussitôt, mon père prit la décision de revenir chez nous.

Nos voisins, les membres de la famille Docquiers, voulurent rester et attendre. Nous les quitte­rons en ce lieu, en les abandonnant à leur destin : chacun pour soi et Dieu pour tous !

La traversée de la ville ne nous sera pas facile tant les rues sont encombrées. La Place et la Collégiale sont remplies d’un monde qui ne sait plus quoi faire devant ces événements inattendus.

Aller en France par le chemin de fer étant devenu impossible, il faudra bien se résigner à choisir entre trois partis :

  1. reprendre la route,

  2. stationner sur place,

  3. rentrer dans ses foyers.

De la Place, nous pouvons voir l’allée qui conduit au château, où des gens pressés les uns contre les autres cherchent à arriver à l’entrée du parc où, dit-on, des serviteurs du Prince distribuent des vivres aux émigrants qui en sont dépourvus.

Il est tout aussi difficile de trouver un cabaret où nous pourrions nous rafraîchir, de même qu’une boutique encore ouverte vendant des produits alimentaires ; les commerçants sont débordés, les stocks de marchandises s’épuiseront vite, tant les chalands sont nombreux, et certains boutiquiers envisagent déjà, peut-être le marché noir.

Nous ne tenterons pas de passer des heures pour recevoir ou acheter des victuailles, ayant hâte de nous éloigner de ces lieux qui, bientôt, deviendront inhospitaliers pour beaucoup d’entre-nous.

Sortis à grand-peine de cette fournaise, car le soleil encore de la partie, chauffe de plus en plus fort, en nous frayant un passage à travers cette marée humaine, nous allons entreprendre le chemin de retour en nous dirigeant vers Mariembourg.

Que nous réservera ce voyage, nous n’en savons rien mais il sera encore assez tôt de l’apprendre au cours de nos pérégrinations.

Ignorant les gestes et faits qui se sont produits dans notre région, nous les constaterons au fur et à mesure que nous nous rapprocherons de notre village et de notre maison.

À peine sortis de la Cité des Princes de Chimay, je deviendrai malade et j’embarrasserai mes parents d’une charge supplémentaire à porter avec nos bagages.

Ma maladie n’eut pas été bien grave, si j’avais eu, au cours de notre voyage, l’objet adéquat pour me soulager des matières putrescibles accumulées dans mon corps, car manger et boire me répugnait.

Cet état de santé et de prostration dont j’étais affligé, durera jusqu’à notre rentrée au bercail.

Ce sera sur cette grand-route qui conduit à Mariembourg que nous verrons des soldats fran­çais refluant des rivages de la Meuse, regagner la frontière toute proche de leur pays.

En bordure de la route que nous avions empruntée, sur un champ, une grande brouette était abandonnée.

Mon père s’en empara sans vergogne ; sur le plancher il chargea nos bagages, sur lesquels je fus couché.

Ce sera avec ce moyen de transport, trouvé bien à propos, que nous reviendrons au village.

Au cours de notre route, nous vîmes des soldats français groupés ou isolés se dirigeant vers le sud, de toute la vitesse de leurs jambes.

Un officier français, voyant l’état de santé dans lequel j’étais prostré et la détresse de mes parents, me prit en charge sur son cheval ; il nous tint compagnie et nous amena jusqu’aux portes de Mariembourg. Là, le militaire nous quitta, nous souhaitant bonne chance, il s’en fut en galopant vers le sud, c’est-à-dire son pays, la France.

Avant de nous quitter, il nous avait fait la recommandation d’être prudents dans notre trajet de retour car, disait-il, la guerre est horrible et terrible.

Les Allemands disposent de nombreux hommes armés soutenus par de l’artillerie, emploient tous les moyens, bons ou mauvais, pour percer le front et se répandre dans notre pays.

Avertis de ce qui pourrait nous arriver, nous persistons quand même dans notre projet de revenir à notre maison.

Tout en usant du moyen de transport imprévu, mais tellement providentiel, la brouette sur laquelle j’étais allongé au milieu des sacs de voyage, nous arriverons à Mariembourg.

Dans le bourg, des soldats français de toutes espèces d’unités combattantes qui battaient en retraite, se mêlaient aux émigrants qui, comme nous, avaient pris la fuite avant l’arrivée de l’ennemi.

Il était impossible de trouver un estaminet vide pour se reposer et se rafraîchir, tant la foule était grande, dans laquelle les uniformes aux couleurs voyantes : bleu, blanc, rouge, tranchaient sur la masse des civils.

Et, partout, dans cet amalgame militaire et civil, régnait un vent de panique et de peur, à savoir que les Allemands pouvaient arriver d’un moment à l’autre.

Dans le ciel, le soleil brillait et répandait sa chaleur pour tous les biens de la terre, mais avait cure de faire souffrir les hommes engagés à défendre leurs biens et leur pays.

Aux abords de la ville, nous trouvâmes un gîte pour nous reposer, manger et dormir. Ce n’était pas du tout luxueux, c’était un entrepôt de charbon, bâtiment couvert.

Mais, en ces chaudes journées du mois d’août, il fallait se contenter de tout, de peu ou de rien. Comme certains avaient dû le faire, nous n’avions pas encore, au cours de notre randonnée, été obligés de loger à la belle étoile.

Alors se posait le problème du logement. Les églises ouvertes mais souvent petites, les grands et moyennes fermes rares, les grands complexes industriels et commerciaux peu répandus en cette région, peut-être favorable aux randonnées touristiques en temps de paix, étaient partout satu­rés par le nombre croissant des fuyards.

Les malchanceux qui ne trouvaient pas un toit pour passer la nuit devaient alors se rabattre sur les bois et les campagnes pour trouver un coin tranquille pour dormir.

À vrai dire, en ces nuits chaudes du mois d’août, prendre son repos à la belle étoile était encore meilleur et plus sain que de s’entasser dans les granges surchauffées ou sur des chaises et le pavement des églises. Nous en aurons l’expérience au cours de notre dernière étape.

Or donc, nous passerons la nuit, bien mal logé, dans cet entrepôt de charbon.

Ce sera la plus mauvaise nuit de mes souvenirs car, si peu que nous nous déplacions, la poussière de charbon étant remuée, nous envahissait des pieds à la tête, si bien qu’au matin venant, nous étions tout noirs comme des charbonniers.

Riant quand même de notre mésaventure, il fallut trouver une pompe pour pouvoir nous laver et nous rafraîchir avant de continuer notre voyage.



*****

Lundi, 24 août 1914

Quittant Mariembourg sans regret, évitant Philippeville, nous emprunterons des chemins de campagne qui mènent à Walcourt.

Reconduit sur la brouette, sous le beau soleil d’été répandant sa chaleur, j’assisterai toujours au même et désolant spectacle de gens qui fuyaient, croisant par contre ceux qui retournaient à leur village.

La route est, sur toute sa longueur, encombrée des moyens de déplacement les plus divers, allant de la brouette dont je suis le passager, au vélo, aux charrettes à bras ou tirées par un cheval, aux lourds et pesants chariots des fermiers traînés par des chevaux, des bœufs, voire même par des vaches.

Tout ce déploiement, aussi bien dans un sens que dans l’autre, est chargé de provisions de bouche et autres, de literie, de meubles aussi, et d’objets hétéroclites ; on croirait se trouver devant un déménagement général, si on ne savait pas les circonstances qui en sont la cause.

Les moins bien lotis, qui s’en allaient ou qui s’en revenaient à la manière des globe-trotters, un gros bâton à la main, marchaient sur les bords du chemin, portant sur le dos ou les épaules de gros baluchons.

Nous assisterons aussi aux derniers passages des soldats français qui regagnaient eux aussi, selon leurs moyens, la France.

Après maints arrêts de repos, nous arriverons à Walcourt.

La ville des pèlerinages est remplie d’une foule de gens. Nous aurons bien de la peine à trou­ver un coin pour nous reposer.

Assis sur des pierres, à même le sol, près de la ruelle Frère Hugo, nous assisterons comme beaucoup de nos semblables, à l’incendie qui dévore les combles de la collégiale et qui fut provoqué par le bombardement des canons allemands qui mirent le feu à la tour.

À cette vision d’horreur dont nous étions les témoins impuissants, nous pensions à notre mai­son, à notre village, nous demandant s’il n’avait pas subi le même sort.

Cinq bonnes heures de marche étaient encore nécessaires pour regagner notre village. Il était près de six heures du soir.

Fatigués, fourbus, moi toujours malade, mes parents décidèrent néanmoins de nous éloigner de Walcourt et de nous rapprocher de notre maison.

Marchant avec d’autres gens qui, eux aussi, voulaient retourner chez eux, nous allions à l’aventure, redoutant la rencontre toujours possible de nos ennemis.

Tout doucement, la nuit tiède tombait. Ployant sous les fardeaux, nous marchions encore sur des chemins presque déserts.

Pas de rencontre de soldats français, pas d’Allemands non plus. Il faisait calme comme après la tempête, seuls des bovidés broutaient ou étaient couchés sur les pâturages.

Aucun indice ne nous permettait de savoir si, en cet endroit, des combats s’étaient déroulés.

Sur un champ, une meule de paille, nous faisait signe de nous reposer et d’attendre la venue du jour.

Considérant que notre cheminement avait assez réduit le parcours et que, sans incident, nous serions à Presles après avoir marché encore trois bonnes heures, mes parents décidèrent que nous camperions à la belle étoile, au pied du gerbier.

La nuit tiède deviendra fraîche, si bien qu’à quatre heures du matin, nous étions sur pied, prêts au départ, dans le brouillard qui voilait les champs.



*****

Mardi, 25 août 1914, tôt le matin

Nous étant de nouveaux remis en route, ce sera aux abords de Somzée, à un croisement de chemins, que nous rencontrerons une patrouille d’uhlans. Ces soldats allemands montés sur des chevaux, représentant des lanciers, coiffés d’un casque assez particulier, étaient envoyés en recon­naissance avant le gros des troupes.

L’un d’eux, à notre approche, cria de son cheval : « Wohin sind du Franzosen ? » (« Où sont les Français ? »). C’était la première fois que nous entendions ce langage guttural.

Une femme, qui faisait le chemin avec nous et qui, sans doute, avait deviné le sens de la question, lui dit : « par là », en étendant son bras, montrant un chemin du carrefour. Cette personne ne savait même pas où étaient les Français.

Les uhlans tournèrent bride et, au galop de leurs chevaux, s’en retournèrent probablement d’où ils étaient venus.

Cette première rencontre avec des soldats ennemis ne nous découragea pas trop et nous continuerons notre route.

Au village de Somzée, des maisons étaient en ruines, certaines étaient dévorées par un incen­die récent.

À qui attribuer ces faits, aux Français ou aux Allemands ? Nous aurions été en peine de pou­voir le dire, n’observant aucun mouvement de troupes ni de soldats isolés.

Accélérant notre marche, nous arriverons à Tarciennes, où nous presserons le pas, pour faire le chemin qui débouche au bourg de Gerpinnes.

À cette heure aussi matinale, Gerpinnes et Villers-Poterie sont déserts et nous ne rencontre­rons âme qui vive. Tout semble mort. Point de signe de combat, point de destruction, point de sol­dats ; du moins, s’il y en a, sur le chemin que nous empruntons, nous n’en voyons pas.

Il doit être près de six heures ; du carrefour de la Figoterie, nous apercevons l’orée du bois de Villers-Poterie.

Pour nous, notre exode est quasi terminé, ce n’est plus qu’une question de minutes, un bon quart d’heure de marche et nous serons rentrés en notre maison, car nous hâtons le pas à l’approche de notre foyer, comme les chevaux qui sentent l’écurie.

La traversée des bois de Villers-Poterie et de Châtelet se fera sans embûche pouvant contra­rier notre retour.

Seulement, en bordure du bois, dans les fossés, nous pouvons voir des chevaux tués, cou­verts de grosses mouches vertes et dégageant déjà une odeur pestilentielle.

Ce sont des signes qu’une bataille a eu lieu et qu’il n’y a pas de longues heures que les com­bats se sont terminés.

Plus loin nous avancerons et plus nous découvrirons d’autres chevaux morts mais, malheureu­sement, il y a des soldats français qui sont étendus sur le sol, tués en combattant.

Au débouché du bois de Châtelet, sur les prairies, de nombreux bestiaux et aussi des che­vaux, sont aussi couchés, victimes innocentes de la bataille.

Mais, ce qui nous stupéfiera en rentrant dans notre village, sera de voir les ruines encore fumantes de la maison de Philippe Brachotte, marié avec Marie-Françoise Marchand, parent de Jean-Baptiste Brachotte qui était établi boulanger à la rue Haute, à Presles.

L’incendie à dû être violent et faire rage, car tout est brûlé, calciné, maison et dépendances, dans lesquelles des tisons encore incandescents achèvent de se consumer, laissant échapper des fumées qui montent dans le ciel ; le soleil qui, là-bas, s’élève, nous promet encore une journée chaude.

Sept heures viennent de sonner et nous faisons notre rentrée en notre maison.

Et ce ne fut pas une rentrée triomphale, comme nous allons le voir, en racontant ce que nous avons découvert.

Tout est calme et désert, rien ne bouge ou si peu, toute vie paraît anéantie. Que de désola­tions, de tristesses nous allons avoir dans cette journée en constatant les effets de la bataille qui s’est livrées à quelques pas de nos portes.

 



Avant de continuer notre récit, il faut que je parle de moi. Depuis notre départ de Chimay, j’étais malade et ramené sur une brouette.

Aussitôt en notre maison, je repris mes habitudes et je fus vite soulagé dans mon état de santé.

J’aurai tout mon temps pour observer et constater tout ce que des armées belligérantes peu­vent faire de faits et de gestes, autrement dit de drames, de dévastations, quand elles se rencontrent dans un conflit armé comme celui qui s’est produit dans notre village.

À la rue Al Croix, nous étions revenus les premiers dans notre maison ; Douward dou Canon et son épouse, abandonnés à Florennes, n’étaient pas encore rentrés ; ils reviendront quelques jours après.

La famille Docquiers, avec leurs enfants Louis, Arthur et Florent, mon petit camarade, restée à Chimay, se ramènera beaucoup plus tard.

Chez Sandron, Lepage, Marlier, les maisons restaient vides de leurs propriétaires.

Antoine Marchand et son épouse Philomène Sandron étaient revenus. Nos cousins Florent Delforge, son épouse Titine Djan et leurs voisins, rappliqueront les derniers dans la moitié du mois de septembre.

Ces quelques lignes pour dire que la plus grande majorité des Preslois avaient pris la fuite avant l’arrivée des Allemands.

Comme beaucoup d’autres, notre maison avait été pillée de fond en comble. En ces pages de souvenirs, nous n’accuserons personne mais tout le monde, car nous retrouverons des traces lais­sées par les Français, les Allemands et aussi par des civils, soient-ils Preslois ou étrangers, ne sachant en faire la distinction, n’ayant pas été témoins des gestes et des faits qui se sont passés pendant les journées chaudes de la grande bataille de la Sambre.

Nous nous bornerons tout simplement à raconter, étant simple spectateur, ce que nous avons vu et tout ce qui a été fait après notre retour au village.

 

Comme nous l’avons dit, notre maison avait été pillée. Toutes les portes étaient ouvertes, toutes les armoires, les meubles avaient été visités et bien des choses avaient été emportées.

Notre cuisine était toute bouleversée, la table était chargée de vaisselle qui avait servi à fes­toyer, car, dans des plats, des casseroles, des restes de nos poules, de nos lapins cuits avaient été abandonnés.

Des bouteilles de vin vidées, des pots encore remplis de bière de notre tonneau, des bou­teilles de péket (genièvre) à sec aussi, étaient dispersées dans toutes les pièces de notre maison.

La literie était répandue sur le parquet des chambres à coucher, les matelas percés de coups de baïonnette, des draps de lit déchirés, avaient peut-être servi à faire des bandes de pansement ou de la charpie pour des blessés.

Nos vêtements avaient été sortis des garde-robes, les coffres dans lesquels le linge de corps était enfermé, vidés, des chemises, chemisettes, caleçons, avaient été emportés probablement par ceux qui avaient fait leur toilette, laissant traîner sur place ce qu’ils avaient sur le dos.

Le pillage devait avoir eu ses heures de plaisir car, dans la maison, nous retrouvions les cha­peaux « boules » (melons) ou de paille de mon père, ceux de ma mère et de ma grand-mère, piqués de plumes des poules sacrifiées et mangées par ceux qui s’en étaient régalés dans l’euphorie en fai­sant bombance à la manière de bons vivants ne s’embarrassant pas de ce qu’il adviendrait le lende­main.

Que voulez-vous, c’est la philosophie du soldat en guerre !

Tout avait été minutieusement fouillé, car le revolver et le fusil de chasse de mon père, qui avaient été cachés avant notre départ, avaient été découverts et emportés.

Les portes de l’écurie étaient aussi béantes et les lapins que nous avions enfermés avaient tous disparu, mangés ou perdus dans la nature. Il en était de même pour le poulailler qui était vide de ses poules.

Par contre, dans l’écurie, nous retrouvions des crottins, nous indiquant que des chevaux y avaient stationné.

Ce pillage n’était pas unique, les maisons de nos voisins, comme beaucoup d’autres du vil­lage, avaient subi le même sort.

Notre jardin était dévasté ; nous retrouvâmes, vagabondant, quelques-uns de nos lapins et quelques poules.

Les deux porcs, nous ne savons pas ce qu’il en est advenu, n’ayant trouvé aucune trace, sauf qu’une flaque de sang dans le pré nous permit de penser qu’ils auront été occis sur place.

J’étais désolé devant ces cages vides, mes chers oiseaux ne reviendraient plus et ma cor­neille Tchawe-Tchawe, si elle vivait encore, ne revint plus dans son panier.

De notre vache Norette - elle n’était pas revenue sur son pré – je conterai l’histoire en son temps.

De toute ma ménagerie, si je peux m’exprimer ainsi, il ne me restait que mon chien Mirza, qui, avec nous, avait fait toute cette randonnée imprévue et forcée.

Dans notre fournil, dans notre grange, nous retrouvions des effets de militaires français et allemands ; ces témoins restés sur place seront pour nous la raison de dire que notre maison fut occu­pée par des soldats des deux puissances en guerre.

Il en était tout à fait pareil chez nos voisins, comme dans beaucoup d’autres logis du village.

Lors de notre départ, nous avions aperçu des canons français en position de tir au fond de notre pré et celui de notre cousin Gaspard Grenier, et cachés dans les boqueteaux de la ligne du tram à vapeur Châtelet-Fosses.

À notre retour, les canons étaient partis, mais la prairie était couverte de nombreuses douilles de cuivre jaune. Estimant à vue que plusieurs centaines d’étuis étaient restés sur place, nous en avons déduit que les canonniers français avaient tiré de nombreux obus sur les envahisseurs alle­mands.

Nous avions peur de prendre ces grandes cartouches de cuivre jaune.

Venus de Châtelet avec des charrettes, de plus malins, plus audacieux, plus opportunistes et plus réalistes, s’en emparèrent, les chargèrent et les emportèrent. Ils s’en retournèrent sans être inquié­tés ni poursuivis ; pourtant des soldats allemands n’étaient pas loin de chez nous, comme nous le verrons dans la suite de nos pages de souvenirs.

Derrière notre maison, c’est-à-dire sur le côté opposé de la rue Al Croix, que de dévastations s’étaient produites pendant les jours de notre voyage forcé !

Depuis la route de Fosses (rue de l’S actuelle) jusqu’à la Bergère, les terres et les prés étaient tout bouleversés par cinq lignes parallèles de tranchées, profondes d’au moins 80 cm et de 50 cm de large.

Les déblais étaient rejetés sur le devant, de façon à former un parapet pour que le soldat soit mieux abrité et sache mieux se protéger ou se déplacer.

Ces tranchées furent occupées par les Français après notre départ de notre maison. Nous y avons retrouvé des douilles en cuivre d’une importante quantité de cartouches ainsi que des projec­tiles en bon état, des baïonnettes entières ou brisées, des lebels (fusils) entiers ou en morceaux, des nécessaires pour le nettoyage des fusils, des gourdes françaises, des gamelles, des ustensiles pour manger dont certains étaient en aluminium, comprenant couteau, fourchette, cuillère, le tout se repliant sur lui-même ne tenait pas beaucoup de place ; des gibernes ou cartouchières, havresacs à dos garnis de poils, couvertures, bonnets, képis et casquettes militaires, et beaucoup d’autres choses provenant de l’intendance, ainsi qu’un porte-cartes aux armes (couleurs) françaises contenant des cartes militaires appartenant à un officier.

Un morceau de lunette d’approche que nous avions ramassé dans les tranchées nous valut d’être poursuivis jusqu’à notre maison par un soldat ou sous-officier allemand (ne connaissant pas les grades à cette époque) qui, de force, s’empara du débris.

Nos plantations de pommes de terre, de betteraves étaient dévastées par le creusement des tranchées, si bien qu’à la récolte, il restait moins d’un dixième de ce qui avait été semé et planté.

Les emblavures voisines étaient aussi dévastées et ne produisirent à la récolte qu’une maigre quantité de graines.

Les prés aussi étaient bouleversés, on dut remblayer les tranchées comme partout d’ailleurs où les cinq lignes de défense avaient été creusées.

Près de la basse du Cuvlî (mare d’eau) appartenant à Arthur Wauthiez, nous retrouvions le service à café, cadeau de noces de ma mère, qui avait été emporté de notre maison avec des chaises tressées. Dans la cafetière, il y avait encore du café ainsi que dans des tasses ; il fut aban­donné là lors d’une alerte au cours de la bataille.

Mais aussi combien d’autres choses de nos voisins ou de provenance étrangère ne furent-elles pas retrouvées sur le champ de bataille ? Dieu sait quels soldats français les avaient abandonnées en battant en retraite.

Le soleil n’arrêtait pas de répandre sa chaleur sur tout ce champ de bataille, que nous voyons avec nos yeux d’enfant, mais il y avait bien plus horrible à voir et à découvrir : des hommes, soldats français étaient restés dans les tranchées, tués par les balles allemandes, tombés les armes à la main ; ils étaient là, dans leur position, lorsqu’ils avaient été frappés à mort.

Ce spectacle était pénible à voir ; la chaleur du soleil aidant, les corps couverts de mouches gonflaient et dégageaient des odeurs pestilentielles.

Personne ne s’occupait de ces soldats, pour nous inconnus, morts pour la France et la Belgique, en combattant. Et pourtant, des soldats allemands occupaient le village, sans faire inhumer les défunts.

Dès notre retour dans le village, des hommes de bonne volonté s’organisèrent pour donner une sépulture décente aux soldats tués au cours de la bataille et enterrer les animaux, eux aussi tués lors des combats.

À la rue Al Croix, nous tiendrons particulièrement à citer Antoine Marchand et mon père Gravy Eugène, qui se dévouèrent pendant des jours à faire de nombreuses tombes.

Les soldats allemands occupant Presles laissaient faire.

Témoin, nous assistâmes à des inhumations provisoires sans cercueils, les corps simplement enveloppés d’une ou deux couvertures ou capotes, déposés quatre à cinq pieds sous terre, sur le tumulus, deux bâtons en croix, indiquaient qu’un soldat était mort pour sa patrie.

Il en fut ainsi pour nombre d’entre eux, enterrés là où, sous le feu de l’ennemi, ils étaient tom­bés.

Près de la maison Lepage, quelques soldats tués dans les tranchées seront ramassés et enterrés côte à côte.

Près de notre maison, nous découvrirons dans la cambuse (baraquement en bois qui avait servi de logement aux ouvriers flamands, constructeurs de la ligne vicinale du tram à vapeur), au rez-de-chaussée, un soldat français qui avait trouvé la mort lorsqu’il se rasait - il avait bien mal choisi le moment.

Torse nu, la moitié de sa figure était encore couverte de la mousse du savon ; de son front, du sang s’était écoulé, il avait été atteint par une balle, le grand rasoir était encore resté dans sa main.

À l’étage, un autre soldat était recroquevillé sur lui-même ; probablement avait-il été blessé en montant se cacher. Seul, il dut mourir de ses blessures.

Ils furent enterrés séparément vis-à-vis du baraquement, à cinq ou six pas de la maison de Marcelle Sandron.

Au pignon de la maison Pouleur, maintenant rue de l’S, deux tombes furent creusées sur place pour y déposer deux soldats, une autre fut creusée sur le pâturage des Waibes, où un soldat français avait trouvé la mort.

À la Drève, des soldats français cachés derrière les grands ormes tiraient vers Farciennes et Pont-de-Loup, pour essayer de retarder l’avance des Allemands.

Malheureusement, il y eut de nombreuses victimes, là, encore sur la prairie, une large tran­chée « saloir » fut creusée à l’ombre des grands ormes.

Côte à côte, les corps de ces glorieux morts furent déposés et recouverts de terre, sans qu’on ait cherché à marquer leur identité.

Une grande et simple croix de bois fut plantée au sommet du tumulus. Selon les dires, il devait y avoir plus de cent cinquante Français.

Dans le village, d’autres inhumations durent être faites. Des combattants français furent inhu­més auprès des « Chiens » et certainement d’autres dont nous n’avons plus souvenance de l’endroit.

Beaucoup plus tard, les restes de ces héros seront rassemblés dans des cimetières à Châtelet, en bordure des rues actuelles de la Sarte et de Presles, à Aiseau (Bois de Broux, etc.).

Dans le cimetière de notre village, deux soldats français et deux soldats allemands furent enterrés.

Plus tard encore, les cimetières français seront désaffectés et les restes seront transférés et inhumés dans le grand cimetière de la Belle-Motte.

Pendant la guerre de 1940-1945, le gouvernement allemand reprendra les restes des soldats tués en 1914, pour les inhumer en Allemagne.

À Presles, les deux soldats allemands retourneront dans leur pays.

En ces journées chaudes du mois d’août, une odeur infecte se manifesta sur les prairies bor­dant la rue de la Bergère. À la hâte, des hommes durent faire de grands trous pour enterrer de nom­breux chevaux et bestiaux tués lors de la bataille.

Les animaux gonflés, couverts de mouches, dégageaient des émanations pestilentielles. Dépo­sés dans des trous, les cadavres furent couverts de chaux vive provenant du chaufour de Carnelle, le tout recouvert de terre. Il fut fait pareillement dans les bois de Châtelet.

Quelques jours après notre retour, des bestiaux vagabondaient sur les pâtures et ma grand-mère aura la joie et le bonheur de retrouver Norette, notre vache qui était restée dans les environs du bois de Gougnies, où nous l’avions abandonnée à son sort.

À notre retour, les Allemands occupaient Presles, ils cantonnaient dans le village, occupaient les bâtiments de la papeterie sur la place communale et logeaient chez les habitants, surtout chez ceux qui avaient des écuries, des étables et des granges pour héberger leurs chevaux.

Chez nos cousins Gaspard Grenier, cultivateurs-métayers, établis Place Communale, ils trouvè­rent des locaux adéquats.

Un jour que nous rendions visite à nos cousins, des Allemands étaient autour de la table et dînaient. L’un d’eux me fit approcher et me tendit un bon morceau. Refusant ce qu’il m’offrait, je décli­nai son don en lui disant : « Merci, Monsieur ».

L’Allemand parut froissé et dit « Discipline, discipline ». Il fallut toute la diplomatie nécessaire pour lui faire comprendre que les paroles que j’avais prononcées étaient une formule de politesse et non des paroles offensantes à son égard.

Après un temps, il s’excusa de sa mauvaise interprétation de mon refus et, voulant réparer dans la mesure de ses moyens, il m’autorisa à venir chercher tous les jours du « sucre à paille », espèce de sucre gris (cassonade) qu’il donnait aux chevaux avec de la paille hachée.

Comme on s’en doute bien, je ne me fis pas prier pour venir tous les jours chercher une « musette » (petit sac de toile pouvant contenir deux ou trois kilos de denrée, du sucre en l’occurrence), tant et si bien que nous en avions une bonne quantité à la maison, avec tout ce que je venais chercher en cachette à l’insu des soldats.

La papeterie dirigée par la famille Pouleur fut occupée dès les premiers jours par les soldats allemands. Ils y produisirent énormément de dégâts pendant leur occupation ; nous avons été témoin d’un incendie qui dévorait des papiers.

Cet établissement abrita en 1917 des émigrés français d’Avesnes : les Aubert ; plus tard, en 1918, des Anglais et des Australiens,… si bien qu’à cause des dévastations qui s’y étaient produites, cette industrie locale ne fut plus remise en activité après les hostilités.

En bordure de la grand-route de Fosses, la maison Pouleur fut aussi, dès les premiers jours, occupée par une kommandantur allemande.

Les soldats qui y étaient attachés patrouillaient constamment sur la route et partout dans les environs, traquant tous ceux qui allaient chercher des denrées alimentaires, procédant à des fouilles, spoliant ceux qui avaient acheté au marché noir, les gratifiant de coups de crosse de fusil ou de cravache.

Aux pleurs et aux lamentations des victimes, les coups redoublaient, accompagnés de cris et de jurons gutturaux.

Cette manière arbitraire de soustraire des denrées n’aurait encore été qu’un demi-mal si ces soudards avinés de bière et d’alcool n’avaient pas ravitaillé certaines de nos concitoyennes et des jeunes femmes de Châtelet, avec lesquelles ils s’amusaient des heures et des nuits.

On ne saurait tout dire du comportement de cette soldatesque, pratiquant des actes de barba­rie et de tyrannie sur les malheureuses populations.

Les Allemands finirent par se rendre compte que leur poste ne fut pas toujours un lieu de passage obligatoire par les « chercheurs de ravitaillement ».

À partir de ce moment, ils modifièrent leur itinéraire ; aussi, installèrent-ils un second poste de surveillance à l’Papèneriye (papeterie). Alors les quêteurs de nourriture empruntèrent la rue du Pont, le chemin montant à la chapelle de Notre-Dame de Bon-Secours, la Drève et le sentier filant sous la poudrière de Carnelle vers Châtelet, qui traverse la Basse-campagne.

La maison Pouleur fut tellement saccagée que les propriétaires ne tentèrent pas de la restau­rer et n’habitèrent plus Presles.

Au cours de la guerre, li maujo Pouleûr fut le siège de la « Soupe populaire », qui était prépa­rée par des femmes de combattants.

Au cours de cette journée du 24 août 1914, le comte Eugène d’Oultremont, bourgmestre de Presles, fut obligé d’aller avec ses collègues à Charleroi, ratifier le paiement d’une contribution de guerre de dix millions de francs exigée par l’autorité allemande.



*****

À l’annonce de la déclaration de la guerre, lors de l’avance des Allemands suivie de la retraite des Français, la panique se propagea chez nos concitoyens et les habitants abandonnèrent tout, maisons, biens et bestiaux.

Pour certains - ce fut notre cas - notre voyage forcé fut court et ne dura que quelques jours ; par contre, d’autres se réfugieront loin, bien loin de chez eux.

Le retour au village natal ne se fera qu’avec peine, ennuis, souffrances parfois aussi ; et certains ne reviendront plus.

Si, pour d’aucuns, la chance n’a pas toujours été de leur côté, si la destinée ne leur a pas tou­jours été favorable, d’autres eurent le bonheur en voyant au cours de leur déplacement, des régions où ils pourront œuvrer sans trop être inquiétés, ils jouiront des petites joies de la France libre.

Des alliances, des amitiés aussi se noueront, qui dureront pendant de nombreuses années, voire perpétuées de nos jours. Des couples s’uniront par mariage pour le bon et pour le pire, fonderont de nouvelles familles dont des représentants vivent encore actuellement bien loin de chez nous.

En ces pages de nos souvenirs, il nous plaît de remettre en mémoire des noms de familles dont, en notre enfance, nous avons eu la chance et le bonheur de côtoyer ceux de nos con­citoyens qui en étaient honorés.

Ce sera la conclusion de nos pages d’histoire en rappelant ceux qui - pas tous bien sûr, nous en oublierons certainement - prirent le chemin de l’exode en août 1914.

Parmi ceux qui évacuèrent, un groupe formé de Ghislain-Joseph Chapelle, son épouse Rosalie Tilmant et leur fils Maurice ; Alfred Tassin, instituteur communal et son épouse Jeanne Ransquin ; Antoine Legrand, son épouse Marie Dumont et leurs enfants Antoine et Marie, pérégrinè­rent jusqu’à Trith-Saint-Léger (Nord), un peu plus loin que Valenciennes où, les Allemands les ayant dépassés, le groupe décida de revenir.

En cours de voyage dans les campagnes d’Anor, il faisait chaud aussi, vers Avesnes s/Helpe, ce fut avec de grandes peines qu’on força Jeanne Ransquin, qui était de forte corpulence et qui souf­frait des pieds, à reprendre la route.

Néanmoins, Alfred Tassin, instituteur communal, était revenu pour la rentrée des classes ; les autres aussi ; leur randonnée dura juste une semaine.

À leur rentrée à la maison, ce fut la désolation, leur demeure avait été occupée aussi. Je laisse la parole à mon ami Maurice Chapelle, pour vous conter ce que ses parents découvrirent.

« Chez moi, dit Maurice, des chevaux avaient été attachés dans les écuries et le fournil, des soldats avaient logé dans notre maison (la demeure se situe à l’entrée des Prés Burnaux, occupée actuelle­ment par Jean-Baptiste et son épouse Blanche Dupont). Rien ne semblait avoir été dérangé. Ils avaient changé de linge de corps et de chaussettes. Parfait… Mais quand nous avons voulu nous coucher, nous avons découvert le pot aux roses. Si l’on peut dire… Sous les couvertures convena­blement tirées, se trouvait en plein milieu la carte de visite des salopards. Ah ! les pourcias ! a dit ma mère ».

Des faits pareils avaient été produits dans d’autres maisons du village, tous les soldats de toutes les nations en guerre, même les Belges, effectuèrent des gestes et des faits semblables. Le combattant, nous en avons été témoin en 1940, n’a qu’un souci, celui de ce qui pourrait lui arriver le lendemain et les jours suivants. Lorsqu’il n’est pas chez lui, il ne se gêne pas, surtout s’il est en occu­pation dans un autre pays.

Nos cousins dèl cinse dèl Waibe, Émile Gravy-Charlier et sa famille, ne revinrent qu’une fois les hostilités finies. Leur fils Maurice et son épouse Germaine Giles s’établirent en France et une fille Thérèse, et un fils Claude, verront le jour à Howeles et Nanterre (Haute-Seine) France.

Alphonse Jacquy, alias Fonse dou Tchanetî, se régufia dans les environs de Paris, à Choisy-le-Roi (Seine). Vingt ans après, il nous racontait des histoires de la « Vie parisienne » dont il fut témoin lors de son exode en 1914.

Une partie de la famille Maurico, Fidèle Tilmant, son épouse Gustavine Docq, leurs enfants Joséphine Tilmant et son mari Jules Lambot, dit « li Deûr », Hypolite Lambot et Ester Lambot, évacuèrent dans le Jura. Ils y travaillèrent de leur métier (taillanderie) pour l’armée.

Hélène Maurico (Tilmant) trouvera son mari à Parcey, un Vantard (sans jeu de mots), et ils fonderont un foyer dont des descendants sont encore en vie. C’est à Parcey du reste, qu’est enterré le soldat belge et d’origine presloise, Georges Tilmant.

Certains s’en allèrent beaucoup plus loin, traversèrent la Manche pour se réfugier en Angleterre, d’autres comme Ernest Pouleur, propriétaire de la papeterie, s’embarquèrent pour l’Amérique.

Ursmez ou Ursmé Lebon et son épouse Élise Goffaux s’étaient réfugiés à Troyes (Aube) où, en 1918, vint au monde leur fils Gilbert Lebon, qui se destina aux Ordres et est actuellement en ser­vice au Couvent des Récollets à Montignies-sur-Sambre (Neuville).

Notre cousin Julien Mollet, en son temps garde-champêtre, évacua aussi en France, en Normandie ; son fils Julien racontait en voulant parler français :

« Les gens et les bêtes vivaient dans la même place, fallait entendre lès bôus (bœufs et vaches) crocher du strin (manger de la paille) ».

Les Losson de la Place Communale, li cinsi Victor Van Eeckhout, sont revenus du temps de la guerre.

La famille d’Ernest dou Tchanetî (Jacquy), celle de Guillaume Maurico (Tilmant), la famille Brachotte, et d’autres, prirent le chemin de l’exode avant l’arrivée des Allemands.

Au château de Presles, le comte Eugène d’Oultremont et ses proches parents n’abandonnèrent pas leur domaine.

Des Preslois et des Presloises se réfugièrent dans les caves du château ; notamment des serviteurs des propriétaires. Nous citerons Pierre Aubert, chef-garde du domaine avec sa famille, les Bohon, li Blanc Martchand.

1 Publié en XXX in XXX

2 Petits hannetons dits de la Saint Jean.

3 « Moi j’ai un fusil qui tire dans les tournants. »

4 Nouba : musique des anciens régiments de tirailleurs nord-africains.

5 En juillet 1972, Edmond Anciaux, en procédant à l’arrachage de ses pommes de terre, eut la désagréable surprise de sortir des obus de 75 datant de la grande guerre de 1914-1918 et que la batterie française, qui avait pris position en cet endroit, avait enfouis avant de battre en retraite. Le service de déminage a procédé à l’enlèvement de ces munitions insolites.

6 Nous tenons à faire remarquer que les massacres et les incendies de Tamines eurent lieu le vendredi 21 août.

Il est vrai que la distance qui sépare Tamines de Florennes est longue si on fait le chemin à pied, mais certains fuyards se déplaçaient à vélo et apportèrent ainsi assez tôt à Florennes les horreurs que les Allemands avaient commises à Tamines.

Comme Maurice Chapelle dit : « Il est vrai que parfois la peur donne des ailes ».

Aussi, je tiendrai à faire mention d’un autre fait qui s’est produit au début de la guerre, en 1914 :

« Mon oncle, Léon Florence, natif de Châtelet, s’enfuit, dès l’annonce de la guerre, en France, faisant le voyage à vélo, et passa en Angleterre où, à cette époque, étant en âge de servir l’armée belge, il travailla dans une fabrique de munitions. Sa fiancée Célina Debieme eut aussi la chance de passer en Angleterre, retrouva mon oncle et ils convolèrent en Grande-Bretagne en justes noces. Le mariage fut déclaré légal, selon les usages de la loi anglaise ».

Actions sur le document