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Un oiseau étrange

Un oiseau étrange1



Qui parle de farce dit plaisanterie, fut-elle burlesque, bouffonne, légère, comique ou autre. Et, qui dit plaisanterie, pense tout de suite à un farceur.

En notre village, plusieurs Preslois furent au temps passé de fameux compères et farceurs. L'un d'eux, li Gros dou Roudje, ne fut pas l'un des derniers ; c'était aussi un meneur de jeu.

D'une famille sédentaire résidant au village, il était né à Presles en 1869. Il s'appelait Joseph LORENT, dit li Gros dou Roudje pour le distinguer de ses frères et oncles, tous descendants dou Vîy Roudje.

Après sa jeunesse, il épousa une fille de Presles, née Laure MOLLET, et habita à la Rochelle. Comme ses ascendants, il œuvra dans la maréchalerie et l'art de la forge.

Que de farces, de fredaines de son temps de jeunesse, mon vieil ami li Gros ne m'a-t-il pas racontées dans sa fwâdje (forge) ; le souvenir d'une plaisanterie jouée par lui seul ou avec des camarades aux dépens d'un de ses concitoyens le réjouissait toujours.

Ses farces sont tellement nombreuses que certainement j'oublierai de vous en raconter. En voici néanmoins une.

Or donc, voici qu'un soir d'hiver qu'il faisait noir et que le village s'endormait déjà, li Gros décida de jouer une farce au grand-père de son meilleur ami, Adelin LEJOUR. Parents ou amis, li Gros n'en avait cure et toutes les occasions étaient bonnes du moment que c'était pour s'amuser ou pour rire.

Étant venus par les sentiers au Bordinois, les farceurs se faufilèrent sous les haies jusqu'à la maison d'Alexandre LEJOUR, grand-père dudit Adelin. Là, ayant repéré le petit char du propriétaire, ils avaient trouvé l'objet de leur farce.

Il faut savoir qu'il y a cent ans, les petits exploitants cultivateurs avaient des bègnons, petits chars montés sur trois petites roues. Cet engin leur permettait d'aller traire les vaches en pâture, charger quelques djaubes di strin (gerbes de paille), ou un ou deux mulias d' foûr (meules de foin), se rendre au bois chercher une vingtaine de fagots ou quérir au charbonnage le plus proche cent ou deux cents kilos de tout v’nant (menu charbon). Bref, ce char était utile à leurs besoins.

Nos farceurs l'ayant démonté, ne trouvèrent rien de mieux, sous la conduite du Gros, que de transporter toutes les pièces dans le verger du courtil attenant à la maison. Là, à force de bras, ils hissèrent le plancher, lès bancaus et lès uchelèts les planches et les roues du char dans les branches d'un gros pommier.

Leur farce terminée, dans la nuit noire, ils s'en retournèrent par où ils étaient venus, riant tous ensemble de la bonne farce qu'ils venaient de faire et se représentant la tête que ferait le lendemain le bon vieux grand-père.

En effet, le lendemain, Alexandre LEJOUR, levé de bonne heure et ayant jeté un coup d'œil sur son courtil par la fenêtre, cria à son épouse Thérèse (Marie-Thérèse ODY) : « èh ! Tèrése vinoz in pau vèye çu qui on-à dins nosse pomi, ci n'èst nén ène binde di cwârbaus ? Mins què-ce-qui çoulà pou bén iesse ? » (« Eh ! Thérèse, venez un peu voir ce que l'on a dans notre pommier, ce n'est pas une bande de corbeaux ? Mais qu'est-ce que cela peut bien être ? » ).

Son courtil s'étendait en longueur, et de sa demeure on distinguait bien quelque chose de noir dans les branches de l'arbre, mais pour savoir ce que c'était, il fallait aller voir. C'est ce que le grand-père fit.

Après avoir chaussé ses gros sabots, il s'en alla dans son courtil et quelle ne fut pas sa surprise de voir à pièce son tombereau démonté, perché comme un oiseau sur les branches de son pommier.

Les voisins accourus rirent à la vue de cet étrange oiseau perché sur les branches du pommier d'Alexandre et pensèrent de suite à une farce, s'apitoyant ou faisant semblant de compatir, en cette circonstance, à la mésaventure arrivée à leur voisin.

On chercha à savoir qui étaient les farceurs. Si, sous le manteau, certains les connaissaient, ils n'en soufflèrent mot, et ce fut beaucoup plus tard que les plaisantins furent connus.

Le Gros dou Roudje riait encore cinquante ans après en me racontant la plaisanterie qu'il avait jouée à Alexandre LEJOUR.

1 Publié en 1981 in Il était une fois.

 

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