Histoire de lapins
Histoires de lapins1
La première se passa au Bordinois. C'était le jour de la dédicace dèl dicôse, autrement dit de la fête communale. En cette occasion les bonnes gens savaient faire « bonne chère », de nombreux lapins étaient sacrifiés pour régaler les familles.
Il en fut ainsi chez Fidèle LEJOUR qui, marié à Rosalie WATELET, avait deux enfants : Françoise, née en 1864 et Adelin, né en 1865.
Dans sa jeunesse, Adelin fut un grand camarade du Gros dou Roudje Joseph LORENT, qui savait jouer des tours et des farces à ses amis ainsi qu'à d'autres de ses concitoyens.
Or donc, li Gros s'en était venu au Bordinois avec un camarade chercher Adelin pour aller danser et s'amuser à la ducasse. Avant leur départ, Lalîye dit à son fils que, quand il rentrerait, la fricassée de lapin se trouverait dans l'armoire et qu'il n'aurait qu'à souper. Ces paroles ne tombèrent pas dans l'oreille d'un sourd, li Gros rumina la pensée de jouer un tour à son meilleur ami.
S'amusant à la fête et dans les cabarets de la place, furtivement li Gros s'esquiva, entraînant avec lui un camarade, ils s'en vinrent au Bordinois. Li Gros dou Roudje avait son idée, celle de manger le lapin des LEJOUR.
En ce temps-là, les portes des maisons restaient ouvertes la nuit, on n'avait crainte des voleurs, et… cela permettait aux jeunes de rentrer sans devoir réveiller les parents qui dormaient.
Quand, dans la nuit, Adelin ayant regagné sa maison, prit la casserole pour souper, il ne trouva plus, à son grand étonnement, que des os et de la sauce froide.
Sa mère l'ayant entendu rentrer, lui cria de sa chambre : « Est-ce vos Adelin ? ». Il répondit : « Oyi, man, c'èst mî ».
Cela durait si longtemps que Lalîye demanda : « Eh ! m'fî qwè fioz là, vos-è-metèz dou timps pou souper ? » Et Adelin de répondre « Bé, man, li lapén èst tout mougnî, i n'dimeure qui lès ochas dins l'cassèrole » (Cela durait si longtemps que Lalîye demanda : « Eh mon fils, que faites-vous là, vous en mettez du temps pour souper ? Et Adelin de répondre « Bien maman, le lapin est tout mangé, il ne reste que les os dans la casserole ! »)
Stupéfaction générale de la maisonnée qui, dans son sommeil, n’avait pas entendu les farceurs, Li Gros dou Roudje et son copain, se régaler à leurs dépens. Adelin ne s’était pas aperçu de la disparition de son ami Joseph LORENT.
Comme il arrive un temps où tout est connu et se raconte, les villageois rirent beaucoup de la farce du lapin mangé par les farceurs gastronomes.
La seconde histoire se passe au lieu-dit Paradis des chevaux.
Au siècle dernier, sur le côté droit du raidillon qui monte vers la rue Haute, il y avait deux maisons (elles sont toujours là). L’une d’elles devait nécessairement être un cabaret, sinon la rue aurait passé pour bâtarde car les autres avaient toutes des cabarets.
C’est dans l’une d’elles que s’installa cabaretier Joseph ARNOULD, dit Bèriques ; et les murs de son cabaret entendirent bien des histoires.
On disait aussi èmon Bâbe car l’épouse de Bèriques outre son nom de Barbe BLAMPAIN, était experte dans l’art capillaire, et vous faisait une coupe de cheveux et une barbe pour quinze centimes, comme le plus renommé des figaros.
Le Bèriques était l’homme à tout faire ; il devenait tueur de cochons à l’occasion. Son frère, Émile ARNOULD, dit li grand ou li gros Bèriques, célibataire, habitait seul la maison à côté. Les deux Bèriques étaient de bons bougres, aimant la gauloiserie et les farces. Ils ne se formalisaient pas lorsqu’on leur rendait la monnaie de leur pièce.
Un jour, l’Émile, désœuvré, eut l’idée de jouer un bon tour à son frère. S’étant rendu dans les clapiers de Joseph, il lui déroba un beau gros lapin et s’en fut l’écorcher chez lui puis bourra de paille la peau de l’animal et s’en alla remettre furtivement, en lieu et place du lapin vivant, l’animal empaillé, avec un billet qui le trahisssait et portait ces mots :
Prinde èt r’mète ci n’èst nèn volér, in frére Djosèf. (Prendre et remettre, ce n’est pas voler, n’est-ce pas, frère Joseph)
On imagine la tête que fit le volé en trouvant sa garène vidée de son lapin vivant. Mais il fit semblant de rien et envoya faire une fausse commission à son frère pour l’attirer au cabaret. Il s’en fut alors par derrière la maison chercher la casserole dans laquelle le lapin mijotait tout doucement sur le poêle à longue buse noire. Quand le lapin fut cuit à point, il alla fraternellement inviter son frère à venir le manger avec lui, « à leur bonne santé ».
On a raison de dire que « bien mal acquis ne profite jamais », mais ici, ce fut pour le voleur et le volé l’occasion de bonnes ripailles.
1 Publié en 1981 in Il était une fois.