Lès cayaus d'à Maillârd
Lès cayaus d'à Maillârd 1
"Les cailloux de Maillard" (de MARTIN)
L'horloge du Temps n'arrête pas sa course, des faits et des gestes nouveaux s'estompent déjà dans la nuit de ceux d'il y a cent ans.
Sont bien rares ceux qui connaissent ou ont entendu parler des cayaus d'à Maillard. Et pourtant, ces cayaux (« pierres » ont eu, au temps passé, leur petite histoire).
D'abord, présentons les personnages : Alphonse MARTIN, né à Presles en 1847, fils de Augustin et de Rosalie MORAUX. Il épousa Pauline LEGRAND, originaire de Velaine. Le ménage habitera toute sa vie dans la deuxième maison, après avoir passé le pont de la Biesme, à la Rue de la Rochelle. Il décédera presque centenaire, son épouse étant morte, avant 1935, sans postérité.
Pour l'époque, c'était un personnage déjà d'importance, ayant en biens propres plus d'un hectare de terre en 1860.
Il avait cependant dans la maison faisant face à son habitation un atelier avec des établis et des outils de menuisier. Un ancêtre ou lui avait-ils exercé ce métier ?
Cela représentait une petite fortune, augmentée de son cheptel, pas bien important, mais tout de même, deux vaches, un bœuf, un petit cheval, quelques cochons et volailles et des moutons.
Étant issu de familles de cultivateurs, Alphonse MARTIN se dirigea vers la culture en exploitant ses terres.
Au temps jadis, le surnom était une chose coutumière et rares étaient ceux qui n'étaient pas spotés (surnommés de sobriquets).Or, Alphonse, lui, fut bien servi, car il fut pourvu de trois surnoms que nous tenterons d'expliquer.
D'abord, la population qui ne l'aimait guère le surnomma Fonse dou pwèl (poil), ce qui indique déjà beaucoup de choses, car un « homme vite au poil » est vif, méchant, batailleur, enfin réunissant toutes les qualités pour avoir des ennuis avec ses semblables.
Sa malheureuse épouse a souffert durant toute son existence, car son mari la battait tous les jours. Elle s'en plaignait bien un peu mais laissait son conjoint se complaire dans sa méchanceté.
De son surnom Maillard, les anciens Preslois n'ont pu m'en donner la raison et je n'ai rien trouvé de valable, sinon que « Mail » = maillet, le péjoratif – Maillard = l'homme au Maillet ou nom de personne germanique « Magillard » – indique mag = force et hard = dur, et caractériserait l'intéressé dans son comportement.
De son surnom Tchiolbou notre hypothèse est celle-ci : le surnom doit avoir été déformé et devrait se comprendre comme tchi l'boû ce qui laisserait supposer que Fonse dou pwèl avait l'habitude de dire cette expression quand son bœuf était à l'arrêt, incitant sa bête à faire un besoin naturel, comme certains laboureurs arrêtaient leur attelage et sifflaient pour faire uriner leurs chevaux.
Mais arrivons-en aus cayaux d'à Maillard. Comme Alphonse MARTIN était propriétaire et cultivateur, la plus grosse partie de ses terres se situait sur la partie supérieure de la colline des Vieux-Sarts. En ce temps-là, la montée était rude, le roc affleurait à la surface du chemin tortueux et mal tracé et rendait la circulation pénible pour celui qui devait se rendre dans cette partie des Vieux-Sarts.
Or, aussi en ce temps-là, la carrière de Presles, du lieudit les Roches – on peut encore en voir des restes dans la rue des Taillandiers – était en activité.
Alphonse Martin avait trouvé que quelques grosses pierres feraient son affaire.
C'est ainsi que, montant à ses cultures des Vieux-Sarts, il transporta des roches sur son char, les déposant le long du chemin. Après un certain temps, il en a suffisamment monté pour jalonner régulièrement les deux côtés de cette voie de circulation. On est en droit de se demander à quoi pouvaient servir ces pierres ?
La réponse est simple, les pierres servaient d'araywè, arrêt, à son attelage, en les disposant à l'avant ou à l'arrière de la roue de son char. Cela permettait à son cheval ou à son bœuf de souffler un peu et à lui-même de se reposer un court instant. Et c'est pour cette raison que des pierres de la carrière furent baptisées « lès cayaus d'à Maillard ».
Mais notre histoire n'est pas pour autant finie.
En ce temps-là, les gamins espiègles et audacieux du village n'avaient pour s'amuser que des promenades et des flâneries, mis à part le jeu de balle ou d 'autres plaisirs enfantins.
Certains trouvèrent amusant de pousser les roches outre la crête de la colline et à les voir rouler sur la pente qui descend vers la Biesme. Dans l'esprit des gamins, c'était un jeu tout en faisant une farce à Fonse Maillard.
Alphonse dou pwèl, constatant que ses cailloux n'étaient plus là, devenait alors furieux et remontait ses roches pour les remettre en place. Il suait sang et eau, injuriait tout ce qui se trouvait à sa portée, même ses pauvres bêtes qui n'en pouvaient, recevaient des coups de fouet à tort et à travers, sans raison, tant sa nervosité et sa méchanceté étaient grandes.
En ces circonstances, il valait mieux l'éviter. Les gamins se sauvaient, ayant peur de se montrer, car ce méchant bonhomme les poursuivait le fouet à la main.
Voilà l'histoire des cayaus d'à Maillârd, elle vaut ce qu'elle vaut, mais quand même, c'est un fait divers comme un autre.
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1 Publié en 1981 in Il était une fois…