À maraude
A maraude... 1
Qui, au temps de sa jeunesse, n'a pas été au moins une fois à maraude ?
Les jardins du village avaient beau être défendus par des haies vives d'épines noires ou blanches, les gamins trouvaient toujours une trouée ou le moyen de pénétrer dans les courtils, et ce, bien souvent, au détriment des bras et des jambes, de la blouse ou de la culotte qui en portaient lès grètes (égratignures) et les chaurds (déchirures) provoquées par les épines en voulant à toute force se créer un passage.
Dans le village, qui n'avait pas dans son courtil un ou deux arbres fruitiers : soit cerisiers, pruniers, poiriers, pommiers, voire même un gayî (noyer) ?
L'envie, la tentation étaient trop fortes pour les gamins qui, derrière la haie, voyaient ces bons gros bigarreaux noirs ou blanc-rosé, ces prunes à cul doré, ces bonnes petites poires grisettes et sucrées, ou quelques belles-fleurs ou reinettes de pommiers.
Cependant, en ce temps-là, les gamins n'étaient pourtant pas privés de fruits ; rares étaient ceux qui n'en avaient pas chez eux. Mais quelques poignées de fruits ainsi chapardés semblaient bien meilleurs que ceux de chez eux ou ceux achetés au marchand qui passait avec sa baladeuse dans les rues, en toutes saisons, annonçant la marchandise à vendre.
Mais les propriétaires veillaient au grain, c'est-à-dire à leurs fruits, et chassaient les maraudeurs dès qu'ils rôdaient trop longtemps aux abords de leurs arbres.
Le grand-père Lejour, dont le courtil s'étendait en longueur derrière la maison, surveillait ses fruits. Il avait imaginé de faire une espèce de cabane qui lui permettait de se dissimuler et surprendre les maraudeurs. À l'entour d'un gros pommier, il avait disposé une dizaine de bottes de paille, formant ainsi une espèce de hutte, sous laquelle il se tenait caché.
Les gamins, rusés comme tout, avaient éventé le stratagème du vieux Lejour. À plat ventre, en se dissimulant derrière la haie, ils guettaient la sortie du grand-père qui s'en retournait chez lui : vite, ils profitaient de son absence pour chaparder quelques fruits.
Or, un jour, les gamins décidèrent de mettre le feu à la paillote et de jouer ainsi une farce au bon vieux grand-père Alexandre Lejour.
Ayant observé et constaté qu'il regagnait sa maison, les gamins audacieux, en tapinois, s'approchèrent de la hutte, grattèrent une allumette et mirent le feu à la paille. Ce fut aussitôt la flambée mais, à leur grande stupéfaction, ils virent le vieillard sortir du brasier, les cheveux hérissés, gesticulant et ameutant les voisins par ses cris.
Les gamins, effrayés par cette soudaine apparition, s'enfuirent, galopant sur le Sentier du Champ d'Obe. Ils ne s'étaient pas aperçus que le grand-père était revenu prestement à son poste de guet.
De cette équipée, en était bien sûr li Gros dou Roudje qui détala comme un lièvre.
De part et d'autre, il y eut plus de peur que de mal, mais la farce aurait pu être tragique ; si le grand-père s'était assoupi un instant sous sa hutte de paille, plus graves en auraient pu être les conséquences.
1 Publié en 1981 in Il était une fois…