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Le site des Roches à Presles

Le site des Roches à Presles

par Jacques DUVIGNEAUD 1 et Jacqueline SAINTENOY-SIMON 2,


paru in Les Naturalistes belges, 1998, 79, 1, pp  15-23

 

Le site des Roches à Presles (I.F.B.L G5.51.42) est constitué principalement d’affleurements de calcaire frasnien longés, vers le sud-est, par des schistes frasniens et famen­niens. Bien que situé à proximité du village de Presles, il présente néanmoins un grand intérêt. D’une part, il souligne la liaison entre la nature du substrat et le tapis végétal ; d’autre part, il met en évidence l’influence des pratiques agro-pastorales traditionnelles. Mais c’est la présence d’une plante très rare dans nos régions. Daphne laureola, le laurier des bois, qui a attiré ici, depuis longtemps, l’attention des naturalistes.

Daphne laureola et ses problèmes

C’est au cours d’une excursion des Naturalistes de Charleroi, en 1928, que Daphne laureola fut observé pour la première fois à Presles (MAGNEL, 27 mai 1928, herbier du Jardin Botanique national à Meise : BR). Cette plante était en fait inconnue de la plupart des participants, certains d’entre eux la confondant même avec Euphorbia amygdaloides. C’est J. DRUET qui, à l’époque, avait reconnu cette espèce et en avait assuré la détermination. Cette belle trouvaille fut mentionnée par après dans les quelques publications floristiques consacrées à la région de Charleroi (CULOT 1929 ; HUNIN & CULOT 1950 ; CULOT 1957A ; MONOYER 1959 ; HAVRENNE 1961 ; LAMBERT 1963).

Quel était l’intérêt particulier de cette trouvaille ? Daphne laureola est une espèce à distribu­tion subméditerranéenne-subatlantique qui manifeste certainement, depuis un siècle, une nette extension d’aire dans la direction du nord. Lorsqu’un botaniste écrit « l’indigénat de Daphne laureola dans le district mosan ne peut être mis en doute », il ne tient pas compte du dynamisme naturel de la flore et il omet de mettre en évidence l’extension progressive de l’espèce. Cette exten­sion se fait visiblement par une progression naturelle dans des sites favorables, les oiseaux jouant un rôle important dans le transport des fruits et dans la régurgitation des noyaux, après passage dans la partie antérieure du tube digestif.

Que l’homme ait aussi concouru dans une large mesure à faciliter cette progression, c’est l’évidence même. Daphne laureola est en effet une espèce castrale souvent cultivée jadis dans les parcs et les jardins car, comme le houx, comme le buis, comme l’if, comme le lierre, comme la pervenche mineure… elle assurait pendant tout l’hiver la présence de tonalités verdoyantes dans des sites boisés dépourvus, en cette époque de l’année, de toute couleur verte. Une fois intro­duite, l’espèce a tendance à se propager en peuplements denses dans les lisières et les sous-bois environnants. C’est ce que l’on observe au Mont Picard dans la région de Huy, au Thier Pirard à Comblain-au-Pont, dans les bois de Roly et de Villers-en-Fagne, au site des Roches à Presles, etc.

En Lorraine française, on peut souligner également la progression de cette espèce du sud vers le nord, dans la vallée de la Meuse comme dans la vallée de la Moselle entre Nancy et Metz, alors qu’elle n’y était pas connue dans le passé. Dans le département des Ardennes, Daphne laureola était totalement ignoré au début du XXème siècle. Sa première mention date de 1931 (BERTEMÈS 1931 : 59). Il a progressé considérablement depuis, à la fois dans des sites naturels (forêts de type hêtraies et lisières calcicoles), comme aux abords de certains parcs. L’apparition de Daphne Laureola en diverses localités de ce dernier département s’est faite très rapidement. En 1947, F. BESTEL, président de la Société d’Histoire naturelle du département des Ardennes, décou­vre dans son jardin, à Montcy-Saint-Pierre, un pied de Daphne laureola qu’il n’avait pas intro­duit 3. Comment était-il arrivé là ?

Il s’agissait simplement d’un jalon dans la migration de cette espèce, provenant d’autres sites du département où, pourtant, elle n’avait pas encore été observée ni mentionnée. Les recher­ches sur le terrain, l’examen des récoltes déposées en herbier, le dépouillement des publications botaniques ainsi que la documentation I.F.B.L. et I.F.F.B. (VAN ROMPAEY & DELVOSALLE 1979 ; AUTEURS MULTIPLES 1978-1996) permettent d’établir aujourd’hui les différentes étapes de cette progression vers le nord. Le département des Ardennes compte maintenant plus de 10 localités qui ont été énumérées entre autres dans une note publiée dans Natura mosana (BEHR & DUVIGNEAUD 1979).

En Belgique, Daphne laureola manifeste le même type d’extension. CRÉPIN (1866) le mentionne à Roly (DETERME 1863) ainsi qu’entre Engis et Chokier. Il ajoute : « cette espèce, une des plus rares de notre flore, a été signalée à Montbliart par M. MICHOT ». DURANT, dans le Prodrome de la flore belge (1899), souligne déjà sa progression et l’indique à Roly, Fagnolles (DETERME), Namur der­rière la citadelle (A. MARÉCHAL), Saint-Servais (DEVOS), Sclayn (DELHAISE), Bonneville (Cercle des Naturalistes d’Andenne), sur la montagne derrière l’abbaye de Flône entre Huy et Liège (P. MICHOT), entre Engis et Chokier, les Avins (MALAISE), Amblève (LEBRUN), Montbliart (P. MICHOT). Depuis le début du XXème siècle, d’autres localités sont venues s’ajouter. Nous avons regroupé ces données anciennes et récentes en annexe. On peut en déduire que Daphne laureola a souvent manifesté une extension progressive et un dynamisme extraordinaire.

Récemment, LEURQUIN (1994) a écrit que la présence conjuguée de Taxus baccata, d’Ilex aquifolium et de Daphne laureola (ce que l’auteur appelle une triade) était loin d’être fortuite et permettait d’apporter une réponse valable au problème de l’indigénat de ces trois espèces à feuillage persistant. Nous ne retiendrons pas cette hypothèse. Il s’agit bien entendu de trois espè­ces à tendance subatlantique-subméditerranéenne, susceptibles d’être introduites par l’homme et certains oiseaux, présentant une écologie un peu parallèle, mais ce sont là des facteurs totalement indépendants de leur indigénat en Belgique. Dans le cas présent d’ailleurs, nous ne voyons pas le rapport entre une espèce en régression (Taxus baccata) avec pourtant une naturalisation à partir de pieds échappés de culture, une espèce en progression manifeste (Daphne laureola) et une espèce à aire de distribution très large et à écologie assez souple (Ilex aquifolium). Ne faudrait-il pas d’ailleurs ajouter à ce groupe Buxus sempervirens, Hedera helix et Vinca minor, ces trois derniè­res plantes ayant aussi en commun la possibilité d’être soit indigènes en Belgique, soit par­fois introduites et naturalisées ?

Intérêt floristique de la région de Presles

Outre Daphne laureola, véritable joyau dans cette région, le site des Roches à Presles comporte toute une série d’espèces calcicoles qui présentent un certain degré de rareté. Le Docteur A. CULOT qui, de 1929 à 1957, avait consacré de multiples recherches à l’étude de la flore de la région de Charleroi, avait observé, au parc de Presles, des espèces castrales (liées à la présence d’un vaste parc très diversifié) et dans le site des Roches de nombreuses espèces calci­coles (dans un milieu où existent des affleurements de calcaire frasnien). Nous énumérons ci-des­sous quelques taxons qui constituent de beaux exemples de liaison entre le tapis végétal et le substrat calcaire.

Carex divulsa.- Lisière forestière. Sans doute s’agit-il de la var. polycarpa ? La détermina­tion de ce taxon mériterait d’être vérifiée.

Chenopodium bonus-henricus.- Bord d’un petit sentier montant du village vers le site des Roches. Plante nitrophile, en voie de régression et de disparition dans nos régions.

Holosteum umbellatum.- Pelouses sur schistes frasniens (HUNIN & CULOT 1950 ; HAVRENNE 1961).

Lathyrus nissolia et L. hirsutus.- Espèces de friche, en voie de régression et de disparition (CULOT 1929, 1957B).

Lycium barbarum.- Plante abondamment naturalisée dans les haies, en montant du village vers le site des Roches (HUNIN & CULOT 1950).

Orchis simia.- Lors de l’excursion de 1950, un seul pied de cette rare orchidée aurait été observé (HUNIN & CULOT 1950). Soulignons qu’en 1992, VERHAEGEN a signalé dans ce site Orchis purpurea, orchidée dont la présence actuelle serait à vérifier.

Salvia pratensis.- Pelouse calcaire du Mesobromion, à la limite de son aire et en voie de régression et de disparition en Belgique (HUNIN & CULOT 1950 ; HAVRENNE 1961 ; LAMBERT 1963).

Scrophularia vernalis.- Il semble bien que la découverte de cette espèce à Presles, le 15 mai 1938 (BR), soit due à VLEMINCQ. Cette trouvaille a été publiée en 1950 (HUNIN & CULOT), en 1959 (MONOYER), en 1993 (LANNOY) et en 1995 (SAINTENOY-SIMON & LECLERCQ). Les stations de cette espèce se trouvent en dehors de la future réserve naturelle domaniale des Roches, soit dans le vallon où coule la Biesme et qui est utilisé comme parc, pour la promenade, soit le long de la route longeant le parc du château de Presles, au pied d’un mur ombragé.

Sedum forsterianum.- Orpin d’une très grande rareté. Ce taxon, difficile à distinguer de Sedum rupestre, a été mentionné aux Roches de Presles par CULOT (1929). Il serait à rechercher à nouveau et sa détermination devrait être vérifiée.

Urtica urens.- Plante nitrophile, liée à des cultures sarclées sur sols riches en nitrates.

La végétation des Roches à Presles

Le site des Roches se trouve sur un éperon rocheux qui domine la Biesme (petit affluent de la rive droite de la Sambre). Il comporte un étroit plateau entouré de versants abrupts surtout vers le nord-ouest. Sur le plateau existent d’anciennes excavations provenant de l’exploitation artisanale du calcaire. La plus grande partie du site est boisée. Des fragments de pelouses calci­coles sont présents, mais ils sont souvent recolonisés par des épineux.

 

Tableau 1. Le site des Roches à Presles. La végétation de la chênaie-charmaie. Relevé phytosociologique.

  1. a. Vieux taillis



Quercus robur

Coryllus avellana

Crataegus monogyna

Cornus sanguinea

Carpinus betulus

Rosa canina

Acer campestre



a’. Taillis bas (strate sous-arbustive)



Daphne laureola





2a

3

2b

2a

1

+

+







5

h. Strate herbacée



Mercurialis perennis

Fraxinus excelsior

Hedera helix

Geum urbanum

Viola reichenbachiana

Primula veris

Brachypodium sylvaticum





2a

2a

2a

1

+

+

+

Remarque. Daphne laureola forme des fourrés denses, hauts de près de 2m. Sa régénération est abondante. La dynamique végétale se présente comme suit :

  • pelouse du Mesobromion à Bromus erectus ;

lisière thermophile à Ligustrum vulgare (Berberidion) ;

  • fourrés d’épineux à Prunus spinosa (Prunetalia) ;

  • chênaie-charmaie des sols calcaires, à Daphne laureola (Querco-Carpinetum).

 



Une grande surface de la réserve est occupée par une chênaie à charme avec, sur le som­met, quelques rares fragments de hêtraie.

Dans la chênaie à charme, on note dans la strate arborescente Quercus robur, Fraxinus excelsior, Prunus avium, Fagus sylvatica… ; dans la strate arbustive : Carpinus betulus, Corylus avellana, Crataegus laevigata, Viscum album, Sambucus nigra, Clématis vitalba, Acer pseudoplatanus… ; dans la strate sous-arbustive : Daphne laureola, Ribes uva-crispa, Crataegus monogyna, Ilex aquifolium, Sambucus nigra, Ligustrum vulgare, Rubus sp., Rosa arvensis ; dans la strate herbacée : une dominance de Hedera helix et Mercurialis perennis avec aussi Euphorbia amygdaloides, Viola reichenbachiana, Arum maculatum, Brachypodium sylvaticum, Vincetoxicum hirundinaria, Carex flacca, Stachys officinalis, Lamium galeobdolon subsp. Montanum, Primula veris, Orchis mascula, Mycelis muralis, Poa nemoralis, Geum urbanum, Listera ovata, Melica uniflora, Carec sylvatica, Ranunculus auricomus, Anemone nemorosa, Narcissus pseudonarcissus, etc. La régénération forestière est assurée par d’innombrables plantules de frêne.

En lisière forestière, apparaissent Cornus sanguinea, Acer campestre, Eronymus europaeus, Ilex aquifolium, Rosa arvensis, Viburnum opulus (sic !), Viburnum lantana, Ligustrum vulgare, Rhamnus cathartica, Malus sylvestris subsp. Sylvestris, Pyrus pyraster, Prunus spinosa, Crataegus monogyna, Rosa rubiginosa, Vincetoxicum hirundinaria, Melica uniflora, Stachys officinalis, Daphne laureola, etc.

Malgré une recolonisation forestière particulièrement dynamique, dominée principalement par Prunus spinosa, des fragments de pelouses calcicoles se sont maintenus (pelouses du Mesobromion). Ils correspondent vraisemblablement à d’anciens parcours de troupeaux de moutons (on se souvient encore, dans le village, de l’ancien berger que l’on appelait le Vieux Pierre)4, plus rarement à des cultures extensives aujourd’hui abandonnées. Ils comprennent Origanum vulgare, Knautia arvensis, Poa pratensis, Arrhenatherum elatius, Bromus erectus, Briza media, Sanguisorba minor, Galium verum, Festuca lemanii, Agrimonia eupatoria, Lotus corniculatus, Avenula pubescens, Primula veris, Viola hirta, Potentilla neumanniana, Polygala vulgaris, Helianthemum nummularium subsp. Nummularium, Cirsium acaule, Salvia pratensis (en 1950 et 1963, non revu récemment), Scabiosa columbaria, Carex caryophyllea, Cerastium arvense, Onobrychis viciifolia, Echium vulgare, Melica ciliata, Melampyrum arvense, Rhytidiadelphus squarrosus, etc.

Une coupe forestière borde le sud du site. Elle est particulièrement intéressante. Elle est dominée par Brachypodium sylvaticum et Poa nemoralis, mais bien d’autres espèces s’y ren­contrent. À celles déjà vues en sous-bois s’ajoutent Viola hirta, Teucrium scorodonia, Cynoglossum officinale, Lithospermum officinale, Asparagus officinalis, Carduus nutans, Clematis vitalba, Aquilegia vulgaris, Verbascum lychnitis, Picris hieracioides, Glechoma hederacea, Verbena officinalis, etc.

Sur schistes frasniens, apparaissent des pelouses ouvertes et rases à Potentilla argentea, Sedum forsterianum, Kickxia elatine, Holosteum umbellatum, etc. Ces pelouses peuvent évoluer vers une lande à genêt à balais (Cytisus scoparius), Hypericum perforatum, etc.

 

Conclusions

Compte tenu des menaces qui pèsent sur ce site, il serait utile de lui assurer une réelle protection. Sa constitution en réserve naturelle domaniale est envisagée. L’importance écologique et floristique de ce milieu justifierait cette mise sous statut conservatoire. La présence toute proche de la vallée de la Biesme et du parc du château d’Oultremont constituerait d’ailleurs un argument supplémentaire pour justifier cette proposition.

 

Annexe : localités de Daphne laureola en Belgique

F2.45 ou 46 : Tournai, à 5 km à l’est de la localité, ancienne carrière (obs. PIÉRART

1982).

F2.46.34 : Gaurain-Ramecroix, ancienne carrière de la Roquette, J. DUVIGNEAUD

et J. SAINTENOY-SIMON, décembre 1997. Découvert par P. ANRYS.

F2.55.12:Calonnes, ancienne carrière des Cinq Rocs, J. DUVIGNEAUD et J.

SAINTENOY-SIMON, décembre 1997. Découvert par P. ANRYS.

F2.55.12 :Calonnes, Curgies, ancienne carrière, J. DUVIGNEAUD et J.

SAINTENOY-SIMON, décembre 1997. Découvert par P. ANRYS.

F6.48:Awirs (NAM) 5. À rechercher.

F6.48 ou 58:entre Engis et Chokier. À rechercher.

F6.57.33:entre Huy et Chokier « sur la montagne, derrière l’abbaye de Flône »,

découvert en 1830 par E. MICHEL (CLUYSENAAR 1890), NAM, BR 6 (DURAND 1881).

 

1 Route de Beaumont 319, B-6030 Marchienne-au-Pont

2 Rue Arthur Roland 61, B-1030 Bruxelles

3 Le même genre d’apparition spontanée a eu lieu aussi en Belgique, à Andenne (SIEBERTZ 1981)

4 Ndlr. Il s’agit de Pietro BONATO né le 18 mai 1906 à Borso del Grappa (I) et décédé à Presles le 16 mars 1979. Ce solitaire habitait à l’extrémité du plateau des Roches (16, rue de la Cahoterie). Il exerça le métier de maçon et construisit sa demeure rudimentaire de ses mains. Il n’était pas berger.

5 NAM : herbier des Facultés universitaires de Namur.

6 BR : herbier du Jardin botanique national de Belgique à Meise.

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