Le Hainaut en 190 sonnets
le hainaut en 190 sonnets (par
Clovis Rocrelle)
extraits
de : les leçons de l’histoire
Presles, 57 avant J.-C.
La guerre, Hannonia, le triumvir romain,
César, te l’apportait avant que fut la poudre ;
À Presles, il paraît de même que la foudre
Après avoir vaincu l’héroïsme germain. 1
Sans attendre, César attaquera demain ;
La ligue Belgium, il a su la dissoudre ;
Presque seul, le Nervien va devoir se résoudre,
À barrer, du pays des aïeux, le chemin.
En fauve rugissant, il surgit des forêts ;
Il traverse la Sambre et fonce sans arrêts
Sur le Romain saisi, tout à coup, de panique ;
César voit le danger, s’empare de la pique
D’un des nombreux fuyards qu’il ramène au combat ;
Rome fait reculer la Nervie… et l’abat !
Cinq cents hommes à peine échappent au carnage !
(Homère a-t-il chanté jadis de tels exploits ? )
Cinq cents !... Ils étaient prêts cependant les grands bois
À recueillir les preux qui frappent avec rage ;
Les preux dont les Romains admirent le courage,
D’autant plus merveilleux que le nombre s’accroît
Des morts et des blessés qu’on entend et qu’on voit
Exciter, des vivants, la bravoure sauvage.
Jusqu’au dernier soupir, ils défendent, ces braves,
Tout ce qu’ils ont aimé : l’espace sans entraves,
La forêt, le soleil, le tombeau des aïeux ;
Ils défendent la terre où, libres, leurs ancêtres,
Fiers et puissants, vivaient loin de Rome, sans maîtres,
Les aïeux réveillés, debout, impérieux.
Et César commenta 1 la valeur de ces braves
Qui, semant la terreur dans les rangs des Romains,
Avaient failli fermer à Rome les chemins
De l’empire du monde et du siècle d’Octave.
Et d’eux, le sort faisait des morts ou des esclaves
Que n’avaient pu sauver leurs efforts surhumains,
Qui n’avaient devant eux que d’affreux lendemains
De joug, de cruauté, de misère et d’entraves.
Cinquante mille morts !... Presque toutes les hordes
D’Atrébates, Nerviens et de Véromandois,
L’élite des guerriers et des Belges et Gaulois.
Et ton âme, ô César, que leur fougue déborde,
Devant de tels lions put à temps se raidir
Et Rome se sentit, en son Jules, grandir.
Les bardes
Oh ! oui, ce fut vraiment une lutte tragique
Que ce combat fameux au milieu des grands bois
Où se fit égorger la Nervie aux abois
Pour sauver, il y a deux mille ans, la Belgique. 2
Moins heureuse que Troie, ô Nervie héroïque,
Tu n’eus point pour chanter tes hauts faits, tes exploits,
Le génial poète à la divine voix
Dont on écoute encor les récits homériques.
Il y eut cependant près du Caillou qui bique
Une âme que hantait notre Hainaut épique ;
Du sommeil éternel, maintenant elle dort ;
En plein chant triomphal, tu nous l’as prise, ô Mort !
Qui la remplacera pour chanter la Nervie
Morte en bloc, pour ne point se survivre asservie ?
Qui suppléera celui que l’ample renommée
Acclame du Caillou qui bique au mont altier,
De la ville au hameau, du manoir au moutier
Où sa gloire de grand poète est proclamée ?
C’était lui qui allait, ô patrie inhumée
Dans la brume des temps, pour te glorifier ;
C’était le chantre élu par le pays entier
Pour n’en faire qu’une âme en sa verve enflammée ;
L’âme du souvenir des grands bois chevelus,
Des menhirs, des dolmens et des monstres velus,
Des druides qui cueillaient les guis aux fronts des chênes ;
Et de mil huit cent trente où tombèrent nos chaînes,
L’âme qui te hantait, Verhaeren-Apollon,
Ô grand Belge inspiré, ô grand Flamand-Wallon !
Entre-Sambre et Meuse
Les sièges forcenés de la terre et des cieux
Sont-ils à leur déclin et, comme ce qui sombre,
Disparaîtront-ils au large, en la pénombre,
Parce qu’on disparaît lorsque l’on se fait vieux ?
Alors que l’on regarde en arrière, anxieux
De savoir ce qu’on laisse enténébré, dans l’ombre,
Et tout ce qui se cache au milieu des décombres
Des âges, des passés vagues, mystérieux.
Belle Entre-Sambre et Meuse autrefois si peuplée
Et qui fus si longtemps appauvrie, esseulée,
Tu dois nous dérober bien des choses d’antan ;
Tu fus, dit-on, prospère 1 il y a bien longtemps,
Mais le Barbare vint et, te jetant par terre,
Il te creuse, pour tombe, un trou dans le mystère.
Constellation des grandes batailles du Hainaut
Presles, Bouvines de la constellation
Des batailles que vit notre terre hennuyère,
Savez-vous que des sœurs géantes, meurtrières
Ensanglantent l’esprit de rouges visions ?
Icares d’aujourd’hui, dans des vols d’avions,
Suivez, de mon Hainaut, les contours de la terre :
Voici son pied de roc, de marbre et de calcaire
Et son torse courbé pour scruter, dirait-on,
Des vestiges d’antan en des feuilles nouvelles,
Des passés d’univers aux luttes éternelles
Comme il sied à l’esprit d’un Hercules géant ;
Hercule, mon Hainaut, mets-toi sur ton séant
Qu’on puisse contempler ta gigantesque taille
Et te voir constellé de tes grandes batailles.
La désunion des anciens Belges qui permet à César de les vaincre
Grandes batailles, oui… Voici celle de Presles 1
Épique, colossale où tout un peuple meurt,
Un peuple de héros qui ne sait point la peur
Et dont l’effort immense, à Rome, se révèle ;
À côté de ces preux, le chêne se sent frêle,
Les chênes sous lesquels ils trépignent d’ardeur ;
Le Romain est pour eux un barbare, un voleur
Qu’ils vont anéantir dans un vaste coup d’aile.
Ils traversent la Sambre en un superbe essor ;
Ils vaincraient les Romains, sûrement, si le sort
N’avait mis un César, un génie à leur tête ;
Du centre de l’empire, ils brisaient la conquête ;
Dans l’œuf, ils comprimaient le monde des Romains,
Et l’Avenir sortait transformé de leurs mains.
À Presles, grands héros, aïeux, entendez-nous ;
Ô Belges devant qui nous tombons à genoux
Afin de célébrer votre bravoure antique,
En ce combat qui vaut tous les combats épiques.
Aujourd’hui nous savons, ancêtres, mieux que vous
Que le néant n’est point et que le viatique,
Que la masse-énergie 2 est masse énergétique ;
Vous le prouvez, savants, que certains disent fous.
Oui, Nerviens, vous vivez à Presles, sur la terre
Où vous n’eûtes jamais un coin de cimetière
Pour veiller sur vos os qu’on ne retrouve plus !
Car ils sont, semble-t-il, retournés en poussière,
Dans l’espace éternel, faire de la lumière
En des temps qui, jamais, ne seront révolus.
Non, vous n’eûtes jamais un coin de cimetière,
Une stèle de marbre, une dalle de pierre,
Un modeste fragment de bronze ou de granit
Qui dise, si l’on tourne en cycle indéfini, 1
Oui, c’est là que leur sang détrempa cette terre
Que vous aimiez, Nerviens, et qui vit tant de guerres
Dont jamais les héros n’ont pu lire : Ci gît
Un peuple dont les jours furent soudain finis,
Car il fut le vaincu, ce peuple qui n’eut pas
Devant lui des marais, pour se défendre, hélas !
Comme il en fut jadis pour une autre peuplade ;
Comme il en fut aussi pour d’autres descendants
Qu’on a glorifiés naguère, ce pendant
Qu’on oubliait, Wallons, vos héros d’Iliade ! 2
Bouvines et l’unité française
Presles s’élève à l’est, aux reins de la province ;
Près du front hennuyer, son frère est au ponant,
Bouvines qui devait voir le morcellement
De la France, au profit d’une meute de princes,
Si leur cerbère affreux, à gueule énorme où grince
La rage qui déchire ensuite à belles dents,
Si leur dragon ou bien l’un de ses revenants
Avait pu la broyer, sanglante, entre ses pinces.
Mais la meute est en fuite et la fougue française
Vient de se révéler sortant de la fournaise
Où se moule, en plein feu, l’âme des nations ;
Cette âme suivons-là ; suivons les visions
Qu’en filme l’avenir ! Est-il plus grande chose
Que cette âme montant vers son apothéose ?
Imprimerie G. COLLIN & FILS à Péruwelz
(Ndlr. Année indéterminée que nous situons directement après la première Guerre mondiale)
1 Arioviste et les Suèves de l’au-delà du Rhin.
1 Commentaires de César : De tous les peuples de la Gaule,
les Belges sont les plus braves.
Rien n’était au-dessus de leur courage.
2 On disait alors : Belgique première, seconde.
1 Cette prospérité devait être due aux couches de minerai de fer dont il est resté des tas non complètement exploités.
1 Napoléon III s’intéressa à l’emplacement de cette bataille qu’on situait aussi à Hautmont.
2 Voir précédemment.
1 Trois mouvements universels hypothétiques dont l’un en cycle indéfini fait repasser en des lieux précédents après X millions d’années-lumière.
2 Où Homère a chanté des exploits moins fameux que celui des Nerviens.