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Rosina, sonneuse de cloches

Rosina, sonneuse de cloches 1

 
 
 
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Plus que celles des villes, les sonneries des cloches des églises de villages, sont associées à la vie quotidienne des campagnards.

De tout temps, la cloche fit partie de la communauté, sonnant pour la joie ou le malheur, cloche d’appel pour le service divin ou cloche d’advertance pour les Plaids Généraux, tocsin d’alarme ou de guerre, d’émeute ou d’incendie. La cloche sonnait des « tribouléyes » joyeuses de baptême ou de mariage, le glas funèbre des trépassés ou de la Toussaint ; la cloche sonnait aussi la marche du Temps, c’est-à-dire les heures.

Au temps passé déjà, la commune de Presles s’honorait d’avoir comme serviteur un sonneur de cloche, en partie rémunéré par l’église et l’administration communale ; cette dernière payait le préposé pour sonner la cloche de la retraite. Cette coutume tomba en désuétude, si bien qu’on n’en parle plus de nos jours.

Sur la fin du XVIIIe siècle, Joseph MARC est marguillier et sonneur de cloches. Il est à présu­mer qu’avant lui, l’église n’était dotée que d’une seule cloche qui sonnait pour tous les offi­ces, les heures et la retraite.

Le sonneur recevait un salaire annuel de quelques francs, accompagnés d’une ou deux mesures de « swale » (seigle) ou de blé et quelques fagots pour son chauffage.

Plus tard, mais avant 1870, Nicolas MARC, fils du précédent, sonnait les cloches, rémunéré par l’église, soit quinze francs pour sonner les offices et vingt-cinq francs par les autorités communales pour sonner tous les jours à midi et la retraite à huit heures de relevée. Il était bien entendu que ce salaire était valable pour toute une année.

Jadis, il était d’usage et coutumier de sonner l’Angelus, au matin, à midi et le soir, les croyants faisant ou disant à haute voix leur prière, là où ils se trouvaient, vaquant à leurs travaux (voir « l’Angelus » de Jean-François Millet, peintre montrant un couple de paysans faisant leur prière sur le champ où ils travaillent).

Ce sera pendant un siècle, 1880-1980, que trois représentantes de la famille GENOT assumeront la charge de sonneuses de cloches : d’abord, la grand-mère, née Augustine MAINJOT, mariée en 1862 à Émile GENOT (de leur mariage, ils eurent un fils nommé Edmond GENOT , né en 1873) ; puis l’épouse de celui-ci, née Thérèse MARCHZND ; enfin, la fille de ces derniers, nommée Rosina GENOT , née à Presles en 1902, elle sera elle aussi sonneuse de cloches à dix-huit ans ; elle épousera Ghislain FABRY, d’origine liégeoise.

Pendant plus d’un demi-siècle, Rosina assurera le service des sonneries de cloches.

À son entrée en fonction, Rosina recevait un salaire annuel de vingt-cinq francs ; cinquante ans plus tard, elle recevait deux cent cinquante francs et devait assurer l’entretien de l’église, en ayant à fournir à bon compte tout le matériel nécessaire pour satisfaire à ses charges de nettoyage.

À l’heure actuelle, nous dit-elle, le métier de sonneur de cloches est beaucoup mieux rémunéré. Depuis quelques années, l’église est chauffée, ce qui rend la tâche plus agréable.

Sonneur de cloches, c’est un métier dont il faut connaître les « ficelles », c’est-à-dire que, sous le clocher, Rosina connaissait ses cordes et ses cloches, pour savoir donner au bronze le ton qui était requis en telles et autres circonstances. Les sonneries des offices n’étaient pas les « tribouléyes » joyeuses d’un baptême ou d’un mariage et, pour les enterrements, le « bridadje » des cloches était nécessaire pour que le bronze rende un son plus sourd. (**** voir : Notes, ci-après)

De chez eux, nos villageois avaient vite distingué quand c’était un autre qui sonnait les cloches au clocher paroissial. Les sonneries du remplaçant n’avaient pas les caractéristiques de celles de Rosina.

En cette année 1980, à l’issue d’une grand-messe chantée, Rosina recevait ses parents, amis et connaissances, paroissiens de Presles et d’ailleurs qui avaient tenu à lui rendre hommage en récompense de ses longues années de sonneuse de cloches. Pour cette circonstance, quel cadeau ferait plaisir à la jubilaire ? Le problème fut vite résolu : une clochette en doublé argent fut remise à Rosina qui s’en montra très touchée et émue, cette petite cloche lui rappellerait au cours du restant de ses jours les heures heureuses où elle se balançait sous le clocher du village natal, pour tirer les cordes et faire résonner le bronze des cloches en des volées de sonneries joyeuses mais aussi se souvenir des heures pleines de tristesse.

Dès son jeune âge, notre cousine Rosina, comme nombre de ses compagnes, fut élevée à la dure, c’est-à-dire que son temps d’école terminé, elle œuvrera de ses bras pour gagner son pain quotidien.

Jeune fille de Presles épousant un Liégeois, ils habitent toujours à la Rochelle, où ils fondè­rent leur famille.

Rosina, outre ses occupations ménagères et familiales, ne sut rester oisive et, pendant de nombreuses années, nous la rencontrerons chez les fermiers MAMBOUR, rue des Taillandiers.

Là, elle avait un travail à son goût et à ses qualités. Cette femme issue d’un foyer ouvrier se dépensera jusqu’à nos jours à donner ses soins aux bestiaux des fermiers MAMBOUR : Edmond, père ; Marcel, fils et Marcel, petit-fils, habitant maintenant dans les bâtiments du moulin du château, ceux-ci rénovés et transformés pour y établir une métairie.

Pendant de nombreuses années et par tous les temps, nous verrons Rosina aller tous les jours porter le lait, le beurre, les œufs de ses patrons. Cette occupation lui plaisait, car Rosina était plus souvent à la ferme qu’à la maison ; sans pour cela qu’elle oublie ses sonneries de cloches.

Aujourd’hui encore, à 78 ans, Rosina va au moulin assister Marcel MAMBOUR, pour traire les vaches du fermier. Il est bon de savoir que la vacherie d'aujourd’hui n’est plus celle d’antan : la traite ne se fait plus à la main mais bien, actuellement, avec des machines motorisées et mécani­sées.

À son âge avancé, notre cousine a encore bon pied, bon œil, elle aime la bonne compa­gnie ; nous la verrons bien souvent aux réunions et festivités locales, s’amusant avec ses parents, ses amis et savourant quelques bonnes pintes de bière ou des traditionnelles tasse de café.

À son âge, elle est restée la fille de jadis, aimant rire et s’amuser, sans pour cela quitter son village natal qu’elle aime, cherchant toujours chez elle tous ses plaisirs.

À la soirée, même si la télévision l’intéresse, Rosina éprouve plus d’agrément à la maison d’un de ses parents ou amis en jouant quelques parties de cartes.

Issue d’une famille de souche presloise, Rosina aime son terroir. Parfois, nous savourons avec délices quelques vieilles histoires qui sont restées comme des souvenirs dans sa fidèle mémoire et qu’elle nous conte avec la gauloiserie de son patois local.

Quand, au hasard d’une rencontre, nous disons à notre cousine Rosina : - « Bén vos vos pwartez co bén pou vos-t-âdje, li santè èst co boune à vèye » (Eh bien, vous vous portez encore bien à votre âge, la santé est encore bonne).

Rosina sourit en disant : - « Oyî, Mins on d’vént vîye ; audjoûrdu ci n’èst pus come au timps passè quand nos-astîn.n’ djon.nes, on sint qu’lâdje èst là èt nos-avons mau pa tous costès ! » (Oui, nous on devient vieux. Aujourd’hui ce n’est plus comme au temps passé quand nous étions jeunes. On sent que l’âge est là et nous avons mal partout).

Bah ! Toutes ces petites misères passeront, Rosina ne s’en fait pas ; prenant la vie du bon côté, elle vivra encore bien des années et entendra encore sonner les cloches au clocher paroissial… mais ce ne seront plus les sonneries de notre cousine Rosina, qui « fèyait si bén s’gouter sès clotches ».



Notes (français – wallon)

 

  • Le métier de sonneur: li mèstî d’soneû

  • Cloches: lès clotches ou lès clokes

  • Les Sonneries:lès sonadjes

  • Faire sonner ensemble
    toutes les cloches:soner èchène

  • Faire une seconde
    sonnerie identique:ridoubler

  • Sonner à toute volée
    et à toutes les cloches:soner ène sitampéye

  • Sonner à plusieurs reprises
    pour un baptême, le nombre
    de reprise variant suivant la
    générosité du parrain:tribouler

  • L’Angelus:soner lès pârdons

  • Le glas pour annoncer la
    mort d’un paroissien ; pendant
    l’office des morts ; pendant la
    soirée de la Toussaint:soner à mwart

  • Fixer partiellement le marteau à
    la cloche pour que le lien ne lui
    permette qu’un seul battement
    à chaque traction : brider lès clotches

  • Dans le temps, pour fournir un
    point de repère à une personne
    égarée : soner au pièrdu

  • Donner l’alarme en cas
    d’incendie : soner au feu

  • Sonner le tocsin : soner au dandjî

  • L’heure de fermeture des
    établissements : soner li r’traite

  • Sonner faiblement, sonner
    creux : baumer

  • Laisser s’éteindre le son : lèyî sgouter lès clotches

  • Pour écarter les méfaits
    de la foudre : soner aus nûéyes

  • Sonner joyeusement : soner lès drèlins

  • Sonnerie de cloches
    annonçant qu’un malade est
    entré en agonie : soner lès trances

 

1 Édité en 1981 in Il était une fois.

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