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Anedjo

ANEDJO dou TCHAN'TÎ 1

 

Cliché : DOC062

En cette page, il nous sera agréable de conter la vie d'une fille de Presles, amoureuse de son village.

Le 17 février 1872, dans une humble demeure du village de Presles, une femme, une épouse, une mère donnait le jour à une fille. Dans la chambre basse, Pierre JACQUY et sa jeune épouse Catherine MARCHANT, se penchaient sur un berceau dans lequel reposait Anne-Joseph, leur fille qui venait de naître.

Cette petite fille apportait joie et bonheur à ses parents et complétait l'harmonie du ménage qui avait déjà un garçon de deux ans nommé Alphonse. Ces deux enfants vivront toute leur vie dans une constante affection familiale.

Néanmoins, d'autres naissances élargiront le cercle de famille : quatre frères et deux sœurs se succéderont en l'espace de quinze années après la naissance d'Anne-Joseph. Il n'était pas rare alors, que des familles ouvrières comptent une nombreuse postérité, malgré l'inexistence des lois sociales et des allocations familiales.

Le logement ne comportait qu'une ou deux chambres, les temps étaient durs à vivre. La famille, vaille que vaille, s'accrocherait à son gîte, elle se serrait la ceinture s'il le fallait pour subsister.

Anne-Joseph va vivre encore de ce temps-là son enfance, son adolescence, en ce dernier quart du XIXe siècle.

Petite fille, nous la retrouvons sur les bancs de l'école, s'appliquant à l'étude de l'abécédaire et d'éléments de calcul ou d'histoire sainte que les « bonnes sœurs du Tiers Ordre de Saint François » se dévouaient à inculquer dans leur école de la rue de l'Église.

Nous découvrons Anne-Joseph et ses compagnes dans leurs ébats enfantins, leurs chants et leurs rondes, leurs jeux qu'aujourd'hui la jeunesse ne connaît plus.

À la veillée, pendant les longues soirées d'hiver, dans la pénombre du logis, la maisonnée se rassemblait autour de l'âtre ; la petite fille entendait conter de belles histoires de fées et de nutons, d'affreux exploits de sorciers et de loups-garous, les folies et les frasques de la Lumerodje, animal fantasque cher à tout Preslois d'origine.

Tout cela dit, le plus souvent, dans le patois du cru si riche et savoureux.

Point de radio, de télévision, de cinéma alors, les chîjes comme on disait, étaient là pour rassembler la famille et les amis qui, tout en se contant ou commentant la dernière nouvelle, savaient si bien s'amuser ensemble, chez eux.

Notre petite fille grandit, la voilà obligée de prendre son départ sur le grand chemin de la vie. À cette époque, les enfants de huit à dix ans étaient déjà mis en apprentissage ou au travail.

Fille de village, vaillante, courageuse, ne rechignant pas au travail, notre Anne louera ses bras, la force de sa jeunesse, à quelques maîtres œuvrant au village.

Gardienne du troupeau du château à onze ans, on la trouvera, quelques temps après, à la cense de la Cahoterie. Elle ira de jour, même de nuit avec son frère Alphonse, travailler à l'papènerîye (la papeterie) de la place. Mais ce sera de son passage au Château de Presles qu'elle gardera le meilleur souvenir.

Anne-Joseph à vingt ans : pour la jeune fille d'alors, c'est le temps des sauteries à la ducasse ou dans l'un ou l'autre cabaret, les danseurs se trémoussant au son de la viole ou de l'harmonica dans une salle basse, emplie de fumée des pipes, éclairée par une lampe de cuivre.

C'est l'âge où la jeune fille rêve au prince charmant, Anne le découvrira dans la personne d'un jeune homme né à Châtelet, nommé Louis SARTEAU. À vingt-deux ans, pour le meilleur et pour le pire, elle dira le oui traditionnel en la vieille tchambe commune à la rue du Pont.

Dès lors, elle se consacrera à sa famille, à ses occupations ménagères, à son jardin et à ses fleurs qu'elle aime tant.

Le cercle de famille s'élargit d'une nouvelle génération.

Ses frères et sœurs fonderont un foyer. À la souche implantée à Presles, au chemin des Vieux-Sarts, viendront de nouveaux rameaux, directs ou collatéraux, qui se perpétueront dans les représentants d'aujourd'hui.

De son mariage, Anne-Joseph eut deux fils et quatre filles, qui lui donnèrent des petits et arrière-petits enfants. Cinq générations vivantes, c’est assez rare.

Pour nos villageois, Anne-Joseph, c'était Anedjô, prénom aussi familier que celui de Mardjô au hameau du Coumagne.

L'habitude de déformer les noms ou de donner des spots était courante au temps passé. La famille JACQUY n'y échappa pas et fut surnommée Tchanetî. Anne-Joseph et ses frères et sœurs furent toujours mieux connus sous leur spot que sous leur nom propre.

Étant un jour (vers 1968) de compagnie avec Anedjô, sa fille Julia et son gendre, le mayeur Marcel SANDRON, et la félicitant de sa bonne santé, après tant d'années de labeur, souhaitant la voir fêter son centième anniversaire, Anne nous dit avec son air narquois : « O ça, dj'ai co bon pîd, bon-ouy èt dji n'seu nén co prèsséye di moru, dji va co bén rade planter mès canadas… Mins ba ! Sondjî à çoula, ni vaut-i nén mia viker come nos l'avons toudi faît ? Pouqwè sondjî ? I s'ra co bén timps quand on-è sèra là ! » (Oh oui, j'ai encore bon pied bon œil et je ne suis pas encore prête à mourir, je vais encore bientôt planter mes pommes de terre… Mais enfin songez à cela, ne vaut-il pas mieux de vivre comme nous l'avons toujours fait ? Pourquoi songer ? Il sera encore temps quand on en sera là).

Nous parlâmes du passé. Ce jour-là, Anne fut intarissable de souvenirs, nous racontant maints événements dont elle fut témoin. Au cours de son récit, elle recréait anecdotes tristes ou joyeuses et fixait les noms des lieux et des personnages ; nous restions émerveillés de sa mémoire si fidèle. Elle revivait des faits, des gestes vieux de plus de cinquante années comme s'ils s'étaient déroulés hier.

1972 : ce fut l'année du jubilé de la centenaire qui, vu sa longévité fut choyée, félicitée par ses parents et tous ses amis. Quelques deux années après, elle s'en allait pour le grand voyage dont on ne revient jamais, elle emportait avec elle tous les souvenirs du village qu'elle avait toujours aimé.

Une centenaire et cinq générations en vie, c'était la première fois qu'une chose pareille se présentait à Presles, en 1972.

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1 Publié en 1981 in Il était une fois - Anne-Joseph JACQUY

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