Colas Del Rochelle
Colas Del Rochelle 1
COLAS DEL ROCHELLE
Colas, mon cousin, était né un jour remarquable, le 6 décembre.
Vous le savez, depuis des temps immémoriaux, ce jour est fête en l’honneur du grand saint Nicolas, patron des enfants sages et aussi, bien sûr, des autres.
La coïncidence de la naissance de mon cousin avec la fête du saint prévalut pour son prénom : Nicolas.
Nous ne croyons quand même pas que son saint patron l’apporta dans sa hotte pleine de cadeaux en descendant par la cheminée la nuit où il visita les maisons de la Rochelle. Pas plus à la cigogne, messagère et transporteuse de bébés tout faits, pour publicité moderne car, en ce temps-là, dame cigogne soignait ses rejetons comme elle le fait encore aujourd’hui et ne s’occupait pas de pourvoir les humains d’une progéniture.
Notre cousin Colas était issu d’une famille ouvrière comme bon nombre de nos autres cousins.
La conjoncture et l’union de « matante Grosse », Angélique Gravy, avec Stanis Lambot, avaient engendré Nicolas qui fut toute sa vie un brave homme, courageux et honnête travailleur.
Or donc, pendant toute son existence, Colas vécut encore la bonne vie communautaire et familiale. Celle encore où les familles étaient sédentaires, provenant de souches qui s’étaient implantées à demeure déjà deux cents ans auparavant et qui se perpétuaient dans leurs représentants, tant en lignes directe que collatérale.
Il est un fait certain, c’est que, du temps de Colas, les villageois vivaient en communauté car les nombreuses alliances que nous avons pu relever prouvent que les jeunes gens et les jeunes filles se mariaient chez eux, entre eux, et que rare était celui ou celle qui allait chercher sa dulcinée ou son prétendant hors du village.
La population d’alors trouvait dans son village ses amusements, ses distractions, ses fêtes profanes, religieuses, folkloriques, ne connaissait pas la « bougeotte » qui est l’apanage, le lot, de celle d’aujourd’hui qui s’en va à la recherche de ses plaisirs.
Mon cousse Nicolas n’avait fait que juste assez d’école que pour savoir lire et écrire. C’est tout vous dire, ce n’était pas un savant. Peut-être avait-il ses manières à lui, sa philosophie à lui qui, augmentée par sa bonhomie et son gros bon sens, suffisait, car c’était un curieux.
Colas ne quitta jamais son village natal que pour aller gagner son pain quotidien.
Il avait appris et avait retenu de ses contemporains, surtout des plus anciens villageois, des usages et des coutumes qui, mises en pratique, donnent des résultats qu’on est parfois loin d’imaginer.
Le spectacle de la nature était pour lui un vaste champ de constatations qu’il interprétait toujours à sa manière. Dans ce domaine, son savoir était fort étendu, son esprit observateur préjugeait du temps à venir aussi bien que le meilleur des baromètres de Pascal ou de Fortin.
Ses discours météorologiques en patois étaient basés sur les variations du temps du moment comme un paysagiste peint son tableau d’après nature.
Le ciel était-il moutonné ? Il disait : « V’là co toudi Djan (sint) qu’a mètu sès bèdots au tchamp, ci n’èst nén bon signe pou nos ôtes » (Voilà encore St Jean qui a mis les moutons au champ, ce n’est pas bon signe pour nous). Car air moutonné n’est pas de longue durée.
Un orage se préparait-il ? : « Li Bon Diè èt sint Pi(è)re si disputenu co, choûte mi ça qué r’muwe –min.adje … t’t-à l’eûre, nos s’rons co bén ramouyîs » (tantôt il pleuvra) (Le Bon Dieu et St Pierre se disputent encore, écoute quel chahut… Tout à l’heure nous serons encore bien arrosés).
Ou, faisant cette autre allusion en entendant tonner : « Li Bon Diè èt sint Pi(è)re djouwenut co aus guîyes, t-à l’heûre i ploura » (Le Bon Dieu et St Pierre jouent encore aux quilles, tantôt il pleuvra !).
Le temps allait-il changer ? : « Lès masindjes (mésanges) sont vinûes mi dire bondjoû, i va co fé mwais dins lès djoûs qui vènenut » (Les mésanges sont venues me dire bonjour, il va encore faire mauvais les jours à venir).
Le temps était-il à la gelée ? : « Waite, mi ça, Bruno a kèrdji s’fagot su s’dos, i djalera co dèl gnut » (Regarde, Bruno a chargé son fagot sur le dos, il gèlera encore de la nuit).
Des adages pareils, Colas en avait plein ses poches, comme bon nombre de ses contemporains observateurs, qui prévoyaient le temps à venir selon les évolutions de la lune, les nuages, les vents ; mais tout cela sont des préjugés, des croyances populaires qui eurent cours au temps passé et qui aujourd’hui sont pour la plupart tombés en désuétude.
Néanmoins, certains indices peuvent encore être valables en observant le comportement de certaines plantes ou de certains animaux.
Il y a signe de bon temps lorsque les « arondes » (hirondelles) volent haut dans le ciel ainsi que l’alouette qui monte dans l’air en chantant (quand il y en a encore).
Lorsque les mouches ou insectes « zûnenut » (bourdonnent) ; quand les « guèrnouyes » (grenouilles) coassent à la soirée ; que les chauves-souris volent à la nuit tombante ; que les moucherons se rassemblent en colonne et volent à la soirée.
Quand les fraisiers sont couverts d’une rosée blanche en été, c’était un signe de grande chaleur : Colas disait : « Avou n’rosèye parèye nos-arons tchôd nos coyène audjoûrdu » (Avec une rosée pareille nous aurons chaud l’échine aujourd’hui).
C’était aussi signe de chaleur lorsque, après une pluie, les nuages semblaient rouler sur les champs ou qu’à l’horizon, le ciel sans nuage était zébré d’éclairs.
Il y avait signe de pluie quand le baudet secoue ses oreilles ou que le chat se lave en passant derrière l’oreille ; quand les oiseaux chanteurs restent muets pendant la journée ; que le pinson ramage avant le lever du jour ; que le paon braille, les chouettes chuintent la nuit et la pintade criaille le jour.
Les cultivateurs remarquaient que la pluie était proche quand le soleil était rouge à son lever ou quand, au couchant, de longues bandes de nuages avaient une couleur rougeâtre.
En temps de gelée, Colas disait : « Quand i d’jale èt qui l’bîje soufèle, nos n’avons co pou in bon momint divant qu’i n’fèye mèyeûs » (Quand il gèle et que la bise souffle, nous en avons encore pour un bon moment avant qu’il ne fasse meilleur). (Le vent d’est est toujours froid et dure longtemps quand il gèle).
Tous ces adages, Colas en avait connaissance et nous-mêmes par nos observations avons pu en être témoin. Ils valent ce qu’ils valent, dira-t-on, mais la nature a bien établi l’ordre des choses, tant pis si l’homme d’aujourd’hui ne sait plus les comprendre comme ses prédécesseurs.
Colas était aussi l’homme prévenant en tout, plein de bons conseils et de grande sagesse.
S’agissait-il de dresser une échelle, de monter sur un arbre, de descendre un escalier, de porter des fardeaux etc., il fallait que toutes les précautions soient prises et assurées avant d’entreprendre le travail.
Nous avions beau lui remontrer qu’il n’y avait aucun danger, qu’il ne pouvait arriver un malheur, Colas, imperturbable dans sa bonhomie, nous rétorquait : « Oyi, mon cousse, mins pou mau a djà tcheû l’cu dins l’euwe, èt Colas ni vout nén co câsser sès ochas » (Oui, cher ami, mais « peu mal » est déjà tombé dans l’eau et Colas ne veut pas encore se casser les os) 1.
On a raison de dire « qu’il vaut mieux prévenir que guérir ».
À Colas, on aurait peut-être pu lui reprocher sa lenteur dans ses activités, non, car quand il faisait quelque chose, il le faisait bien.
Si on s’était avisé de lui faire remarquer qu’il n’avait pas été vite, sa réponse se résumait bien souvent comme ceci : « Pouqwè couru, on arrivra co à timps – ou – râte assez » (Pourquoi courir, on arrive encore à temps – ou assez vite !).
En tel autre cas, il répondait : « Si dispétchî pouqwè fé, li taute èt cûte » (Se dépêcher ! Pourquoi faire, la tarte est cuite).
Ce qui en clair signifiait qu’il était trop tard puisque cela aurait dû être fait.
Travaillait-il pour un patron, il nous tenait ce raisonnement : « Mon cousse, mi dji vén, dji boute, dj’èrva èt dji passe à l’quinzin.ne » (Cher ami, moi j’arrive, je travaille, je retourne et je passe « chercher » ma quinzaine).
Tout ce langage du cousse Colas est plein de vérités, car, dit le proverbe, « Rien ne sert de courir, il faut partir à point » ; et l’allusion au travail provient d’un homme sincère, qui accomplit sa tâche pour le patron qui le paye, ce à quoi d’aucuns aujourd’hui devraient réfléchir et s’inspirer.
La politique du cousse Colas était des plus simples, celle de s’entendre, de s’accorder avec tout le monde et d’avoir tout le monde de son côté.
Comme les cancans, les commérages, les disputes de ménage ne l’intéressaient pas ou guère. Venait-on lui raconter des faits, des gestes, des « pasquèyes » de tel ou telle, Colas, toujours tout plein de bonhomie, savait duper ses interlocuteurs en faisant à leurs propos des réponses abstraites comme celles-ci : « Oyi ; taîje-tu on ; ci n’èst nén possipe ; orait-on jamais pinsè ça ; quéne afaire ; boune Notre-Dame di Walcoû ; … » (Oui ; tais-toi ! ; ce n’est pas possible ; aurait-on jamais pensé cela ; quelle affaire ; bonne Notre-Dame de Walcourt ; …).
Et tout un vocabulaire pareil qui ne l’engageait jamais.
À nous, qui étions son jeune confident, il nous disait : « Dins dès affaires parèyes, mon cousse, i faut tout vèye, tout choûter èt n’jamais rén dire, c’èst come çoula qu’on est vèyu voltije di tèrtous » (Dans de pareilles affaires, mon ami, il faut tout voir, tout entendre et ne jamais rien dire, c’est comme cela que l’on est aimé de tous).
Oui, cousse Colas, vous aviez raison, et encore quand vous teniez ce langage : « Lèons brûler çu qui brûle pou les ôtes, i sèra co bén timps di nos èt mêler quand ça brûlera pous nos » (Laissons brûler ce qui brûle pour les autres ; il sera encore bien temps de nous en mêler lorsque cela brûlera pour nous).
Oui, mon cousse fut de son temps un simple mais combien grand dans l’estime de ses semblables.
Ici-bas, tout a une fin ; mon cousin s’en est allé comme tant d’autres hommes qui, comme lui, vécurent au village dans la modestie et la simplicité.
1 « Mon cousse » se traduit par mon cousin, mais était utilisé plus généralement dans le sens « mon ami », « cher ami ».