Les œufs de la saint Grégoire
Les oeufs de la saint Grégoire1
Il est au bout de la rue de l'Église une ancienne demeure du vieux village, qui a été conservée dans son état d'antan.
Au siècle dernier, elle fut habitée par Pierre WAUTHIEZ et son épouse Cécile BAUDELET. Leur fille, Anne-Hyacinthe, née en 1828, épousa Joseph CARLY.
Ces deux époux provenant d'une famille riche et aisée pour l'époque, en vieillissant, devinrent d'une telle avarice qu'ils injuriaient et menaçaient d'un gros bâton le mendiant qui frappait à leur porte pour quémander une petite charité.
Le 12 mars, les portes de la demeure étaient bien fermées et les lourds volets des fenêtres restaient clos jusqu'après le passage des Saint Grégoire qui venaient chanter à l'entour du logis et jetaient l'anathème « les oignons pourriront » lorsque la porte restait fermée.
Or donc, le jour susdit, les Saint Grégoire vinrent comme à l'habitude chanter par-devant la maison. La porte ne s'ouvrit pas.
Parmi les enfants, l'un d'eux, apparenté par cousinage aux CARLY WAUTHIEZ, décida avec ses camarades de jouer un tour à ses cousins. Pendant qu'ils chanteraient et scanderaient l'anathème, lui, il irait ramasser les œufs dans le poulailler.
Aussitôt dit, aussitôt fait. En deux bons coups de reins, il se trouva au-dessus de la barrière qui fermait le courtil. De là, il enjamba la fenêtre ouverte d'un petit fenil sous lequel se trouvait le poulailler. Connaissant les aîtres et les lieux, sachant que les poules avaient des nids de foin dans lesquels elles pondaient, il fut vite de retour parmi ses amis, sa musette bien remplie d'œufs et bien vite déposée dans la hotte d'un compère. La colonie de volailles devait être importante pour pouvoir en remplir une musette ; dans sa précipitation, il avait pris lès niyaux – les « niais » - ces œufs de craie, qui incitent les poules à pondre à cet endroit.
La troupe s'arrêta net de chanter, souriant de la bonne blague. Les propriétaires crurent que les enfants étaient partis et ouvrirent leur porte. Ce fut une tempête d'injures et de gros mots que la troupe encaissa stoïquement, menacée qu'elle était des gros bâtons ; puis ce fut un grand éclat de rire de toutes parts à l'adresse des deux avares.
On devine la stupéfaction des époux lorsqu'ils allèrent au poulailler. Les poules n'avaient pas pondu comme les jours précédents, mais ils n'en revenaient pas de ne plus voir les œufs de plâtre qui avaient disparu.
De cette équipée, en étaient, entre autres, Gustave GENOT, le plus hardi de la farce, Nicolas LAMBOT, Jean-Baptiste et Eugène BAUDELET, Camille TILMANT, Julien MOLLET, Adrien BOURLETet mon père Eugène GRAVY, qui me raconta ce fait divers qui se passa en 1890.
À cette époque, tout se savait, tout se racontait dans le village. Il ne fallut pas longtemps pour que les CARLY sachent ce qui s'était passé le jour de la saint Grégoire.
La population se gaussa des deux personnages, et cette farce bien imaginée resta en mémoire.
L'année suivante, les Saint Grégoire se présentèrent en chantant par-devant le logis des CARLY. La porte s'ouvrit et les enfants reçurent quelques pièces de deux centimes avec des œufs.
La leçon avait sans doute fait réfléchir les deux avares, mais ce qu'ils donnèrent n'était qu'une petite charité eu égard à leur fortune.
C'était quand même mieux que rien 2.
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1 Publié en 1981 in Il était une fois
2 Biblio.
Ghislain Lefèvre, Note folkloriques sur Ver-Custinnes. Le Guetteur Wallon. N° 152, mars 1936.
Lucien Léonard, Lexique namurois. pp. 596-597
Félix Rousseau, Légendes et Coutumes du Pays de Namur. Ministère de la Culture, 1971.
Chapeaux (Mariembourg) Le Guetteur Wallon, n° 62, novembre 1935.
R. Blouard Mozet (l’ Abbé), Essai de monographie. Le Guetteur Wallon, n° 100/101, janvier/février 1939.
Octave Pirmez, Cahier n° 1857.
Yernaux et Fievet, Au temps de nos grands-mères.
Jean Fichefet, Nouvelle histoire de Tamines. Duculot, Gembloux, 1963.
Cl. Dimanche (Villers-le-Gambon) Antiquaire n°3, mai 1962