Lichî, tailleur de haies
Lichî, tailleur de haies 1
Au temps passé, les usages et les coutumes de nos aïeux avaient des particularités que nos temps modernes ont réduites à néant.
Des jardins, des courtils, des prés, voire même des champs étaient clos de haies vives ou mortes. On entendait que le propriétaire d'un bien devait le clôturer par des végétaux, généralement des épines noires ou blanches, si la haie était vivante. Dans l'autre cas, c'étaient des perches de bois reliées ensemble par des ligatures de fil de fer, mais la sécurité du bien pourvu d'une telle clôture était toujours aléatoire.
Dans notre village, un règlement-loi du xve siècle obligea les tenanciers d'un bien à le clôturer.
Certains prés et terres furent déclarés clos à certains moments de l'année. La communauté presloise ne pouvait y avoir accès qu'à certaines dates ou en cas d'absolue nécessité, mais avec encore combien de restrictions édictées par la Cour de Justice.
C'est ainsi qu'en certains lieux du village, on retrouve encore des restes de ces haies dont les souches ont plus de deux cents ans d'existence.
Le règlement prévoyait le bon entretien des haies, en respectant les mesures, hauteurs stipulées pour telle ou telle raison, l’obligation de procéder à l'échenillage si cela était nécessaire, d'arracher toutes les mauvaises herbes croissant au pied des haies, surtout le long des chemins, de boucher les trouées s'il s'en produisait naturellement, accidentellement ou autrement.
Tout cela était contrôlé par la Cour de Justice et placé sous la surveillance du sergent assermenté qui pouvait dresser des procès-verbaux à tous ceux qui négligeaient d'exécuter ces travaux.
Il y a deux siècles, des entrepreneurs spécialistes de la taille des haies venaient à Pres-les tondre les charmilles du château. Ils voyageaient avec tout un matériel composé d'échelles, d'escabeaux, de planches, de tréteaux, etc.
Ils travaillaient à la taille des charmilles sur des échafaudages à la manière des maçons.
Ces berceaux, ces reposoirs, ces promenades, ces allées voûtées par le feuillage des petits charmes, devaient être entretenus, conduits, taillés pour avoir un effet décoratif s’associant à l'environnement de jardins français de l'époque. La taille devait se faire au millimètre, c'est dire que c'était soigné.
Ces spécialistes allaient de château en château, mais nous ne pensons pas qu'ils s'occupèrent des haies des habitants du village.
Selon nos connaissances, les haies furent nombreuses ; à titre d'information seulement, signalons qu'un courtil de trois ares s'étendait encore en 1860, là où se trouve actuellement la Place Communale, tenant par-devant aux maisons, où se situe l'ancienne maison Paul MOUREAU (actuellement le Centre culturel).
Selon la coutume, le courtil était encore clos par une haie vive dont nous trouvons déjà trace de l'existence en l'an 1772.
Nous n'avons pas trouvé le nom d'un tondeur de haies avant le début du xixe siècle. Ce sera un nommé Lichî, qui s'intitulera jardinier des haies. L'ouvrage ne devait pas lui manquer, car les fermiers, les cultivateurs, ainsi que bien d'autres particuliers avaient des jardins, des courtils renfermés par des clôtures d'épines.
La taille de celles-ci devait se faire deux fois par an. Les propriétaires étaient heureux de se débarrasser des branchages en les donnant pour alimenter les grands feux traditionnels, l'un se déroulant dans le temps du Carême, l'autre à la Saint Jean.
Lichî était un bon travailleur, mais de notoriété publique, il passait pour être un bon buveur. Il s'appelait Alexis MAINJOT ; à l' État civil, nous relevons Alexandre (sic), né en 1889, fils de Pierre et de Hortense QUINART, habitants au Bordinois.
Travaillant en toutes saisons dans la nature, était-il un poète et un paysan ? Nous ne pourrions le dire. Il chantait une chanson sur l'air d'une vieille rengaine, bien conçue comme réclame de son métier de jardinier des haies. Était-ce lui qui l'avait composée ou bien est-ce un autre ? Le mystère reste à élucider, notre aïeule n'ayant pu nous dire davantage que les paroles qu'elle chantonnait et dont, dans nos souvenirs, nous n'avons retenu que quelques bribes que nous faisons suivre ici.
Dji taye lès ayes èt lès bouchons (1)
Lafaridondaine, la faridondon
Avou m'fièrmint è mès cisias, biribi (2)
A l'façon d'Bârbari, mès-amis
Si vos-avèz dès spènes, dès ronches èt des tchèrdons (3)
La faridondaine la faridondon
Lèyèz tout ça à Lichi, biribi (4)
A l'façon d'Bârbari, mès-amis
Dji vos rabinerè tout çoula, à façon (5)
La faridondaine la faridondon
D’timps à erre ène grande goutte la faridondon (6)
Mi f'ra plaîji, biribi (7)
A l'façon d'Bârbari, mès-amis
Traduction:
Je taille les haies et les buissons (1)
avec ma serpe et mes ciseaux (2)
Si vous avez des épines, des ronces et des chardons (3)
Laissez tout cela à LICHI (4)
Je vous rabats tout cela (sur demande) (5)
De temps en temps une grande goutte (6)
me fera plaisir (7)
1 Publié en 1981 in Il était une fois II