Le facteur
Le facteur 1
Cliché : DOC031 - Cliché IMA009 - Cliché : IMM021
Au temps passé, le service postal était assuré par des messagers et des diligences.
Dans notre village de Presles, en 1830, une femme âgée de 59 ans, nommée Marie-Françoise MAINJOT, demeurant à la rue de la Rochelle, exerçait la profession de messagère.
La création des chemins de fer rendit bientôt inutiles les messagers et les diligences.
Presles sera desservi par le bureau de poste de Châtelineau, dès sa mise en service, le 15 décembre 1876.
Dès lors, la distribution du courrier se fera par un agent des postes, dénommé li facteûr.
Joseph DELFOSSE, né à Pont-de-Loup le 20 février 1884, épousa à Presles Marie GENOT. Il assurera la distribution postale jusqu'à sa mise à la retraite après la Seconde Guerre mondiale (1940-1945).
Le facteur habita au Coumagne, dans la maison ayant appartenu au maître de la carrière dite de la Falige nommé François WAUTHIEZ, dit li Binauche.
Cette grande propriété se situait en bordure des rues du Coumagne, rue Grande et rue du Calvaire.
Dans la façade de la maison, on peut voir le millésime 1849. Le jardin et la grande prairie arborés d'arbres fruitiers (pommiers, pruniers, etc.) étaient défendus par une haute haie d'épines blanches, dans laquelle croissaient des houx sauvages à feuilles persistantes vertes.
La prestation du facteur était longue et fatigante.
Tous les jours de l'année, dimanches et jours de fêtes compris, la distribution du courrier devait être assurée.
Levé avant quatre heures du matin, Joseph DELFOSSE enfourchait son vélo pour aller chercher tout ce qu'il y avait dans les boîtes et bornes postales qui se trouvaient installées sur son parcours de Presles à Châtelineau.
Le facteur relevait d'abord celles du Fond des Binches et de la Place communale de Presles.
Au territoire de Châtelet, les boîtes aux lettres des lieux-dits Carnelle et Wez Bajôle, et les bornes postales de la Place Saint-Roch et de la Grand-rue.
De là, il gagnait à vélo le bureau des postes, à Châtelineau.
Vers 1930, à la demande d'un percepteur des postes retraité nommé MOUHARD, venu habiter dans une partie de l'ancienne maison POULEUR (située au coin des rues actuelles de l'S et des Haies) une boîte aux lettres fut encastrée dans la façade de cette maison.
À Châtelineau, comme tous ses collègues, le facteur Joseph DELFOSSE triait et classait tout ce qu'il devait distribuer aux habitants de Presles.
Vers 6 h 30, il partait de Châtelineau pour effectuer sa tournée.
À vélo, le facteur remontait la rue de la Station, la rue de l'Église (actuelle rue des Français) et la route de Châtelet à Fosses, jusqu'au lieu-dit la Drève où il commençait la distribution du courrier, mais aussi de bien d'autres choses, dont nous parlerons plus loin.
Au lieu-dit la Drève, le facteur devait desservir la conciergerie du parc, revenir sur ses pas jusqu’à la grand-route et distribuer le courrier, etc., aux maisons en bordure de ladite route et ce jusqu'au Tournant dangereux.
Il lui fallait ensuite remonter la route jusqu'à la rue Al Croix et faire la distribution dans tout le hameau des Binches jusqu'au Coumagne.
De ce lieu, le facteur revenait jusqu'au carrefour de la Rue Grande avec la rue de Villers (actuelle rue du Calvaire), descendait ladite rue, où, à ce temps là, il n'y avait que la Maison de Pierre, et rejoignait la rue de Fosses.
De cet endroit, le facteur devait desservir les habitants des maisons bâties en bordure de cette route, et ce, jusqu'au Tournant Dangereux.
Cela fait, revenant sur ses pas, le facteur descendra la rue des Wespes ( anc. Waibes) et distribuera le courrier aux habitants de la Place communale.
Par la rue Saint Georges, Joseph DELFORGE se rendait à la rue Haute, à la rue de l'Église et desservait la rue du Pont.
Le facteur passait la grille d'entrée du parc de Presles et venait au château, où il déjeunait et se reposait un instant.
À l'horloge, il était neuf heures.
Ouvrons ici une parenthèse. (Comme tous les jours, avec le facteur, nous faisions route ensemble ; moi étant occupé au château de Presles ; au lieu-dit la Drève mon ami Joseph DELFOSSE, quand il pouvait le faire, me remettait les journaux à distribuer au château, au concierge, au chauffeur, au jardinier en service. Cela permettait aux abonnés des journaux de recevoir leur gazette deux heures avant l'arrivée du facteur au château).
Du château, il reprenait sa tournée en remontant la rue du Pont, desservant les habitants des rues de la Rochelle et des Taillandiers.
Il arrivait parfois que le facteur, pour une affaire personnelle, doive monter à la ferme de la Cahoterie, sinon, en autre cas, il déposait la correspondance du censier dans une boîte aux lettres, mise en place au pied du chemin du Tienne Burlon.
Toujours à vélo, le facteur regagnait la rue de Fosses, près du Sapin Vert, desservant toutes les maisons jusqu'à la limite de Presles avec Sart-Eustache, et allant porter le courrier aux sept maisons du Bas Sart sous Presles.
La tournée du facteur se terminait dans ce hameau de Presles.
À cette époque, le facteur, outre qu'il était chargé de remettre les lettres, cartes postales, les journaux et autres revues périodiques, etc., pouvait vendre des timbres, recevoir et payer à domicile certains mandats, quittances et autres opérations financières qui accommodaient les villageois qui n'avaient pas, de ce fait, à se déplacer. Au long de sa tournée, le facteur était récompensé pour les petits services rendus, par une pièce de monnaie, une bonne tasse de café, un verre de bière ou une grande goutte de pékèt (genièvre).
Le facteur du village était aussi chargé de remettre à domicile des petits colis. Pendant huit ans (1928-1935), nous en avons été témoin.
Le vélo du facteur de la marque Méphisto, fabriqué à Presles par Antoine LEGRAND, marchand de cycles et garagiste, comportait un porte-bagages à l'avant et un à l'arrière, sur lesquels l'agent des postes déposait et amarrait les petits colis.
À cette époque, la poste acceptait toutes sortes de colis, parfois bien encombrants pour le facteur qui était chargé de les remettre à domicile.
C'est ainsi que nous l’avons vu transporter sur son vélo des selles de machines agricoles, des socs et des versoirs de charrue, expédiés des établissements MELOTTE, à Gembloux, pour être remis à Fernand BOUXIN, établi au lieu-dit la Drève, vendant et réparant des outils aratoires et autres.
Le facteur transportait des caissettes de 2 ou 3 kilos de beurre provenant de la laiterie Saint- Anne, des paniers en osier contenant du poisson provenant d'Ostende, des colis de laine à tricoter, des étoffes, et beaucoup d'autres choses commandées par des Preslois.
La camionnette du château allait à la poste de Châtelineau chercher des colis que le facteur ne pouvait pas toujours apporter aux châtelains.
Étant au service des Comtes d'OULTREMONT, un jour d'automne, je serai chargé d'aller retirer au bureau de Châtelineau, un colis bien encombrant. Il s'agissait d'un ballot de plus ou moins 10 kilos, de près de deux mètres de long, contenant une demi-douzaine de rosiers grimpants emballés dans un paillon.
Mais revenons à notre facteur qui, sa distribution terminée au Bas Sart, devait s'en retourner à Châtelineau, rapportant une seconde fois le contenu des boîtes aux lettres, comme il l'avait fait le matin même, et remettre ses comptes.
La tournée du facteur de Presles n'était pas toujours agréable à faire.
À ce temps-là, la route de Châtelet à Fosses était macadamisée (système de revêtement des chaussées avec des pierres concassées et du sable que l'on agglomère au moyen de rouleaux compresseurs). Il en résultait que le passage des chariots aux roues garnies de gros bandages en fer (les autos étant encore peu nombreuses) détruisait la couverture de la route, d'où, en été, la chaussée était poussiéreuse. Il arrivait que, à la suite des dégradations, des nids de poule se formaient, se remplissaient d'eau lors des périodes pluvieuses, et la route macadamisée devenait alors boueuse.
Pendant l'hiver, lorsque les chutes de neige étaient abondantes, la chaussée restait couverte d'une couche de neige parfois importante.
Les ouvriers se rendant tôt le matin au lieu de leur travail devaient se frayer un passage dans cette couche de neige immaculée, mais propice aux chutes.
Le facteur de Presles, sur son vélo, était l'un des premiers à se faire un passage dans la neige.
Parmi nos souvenirs, nous avons encore en mémoire que de Châtelet à Presles, le long de la Drève, des congères, appelées bancs de neige, de plus ou moins vingt mètres de long et épaisses de soixante à quatre-vingts centimètres, se formaient en trois endroits. Il y avait un banc avant d'arriver aux maisons de l'ancien charbonnage de Carnelle ; un autre passé ledit charbonnage et le pied de la côte de Carnelle ; le troisième entre Carnelle et la Drève, au lieu-dit li Nwâr Tchimin.
Le charroi à traction chevaline n'était pas important, il ne laissait dans la neige que les pas des chevaux et deux roulèyes, traces faites par les roues des chariots.
On était tout heureux de suivre ces pistes frayées par les premiers travailleurs.
À cette époque, l'épandage de sel (calcium) et le déblaiement de la neige avec un chasse-neige étaient encore inconnus aux services des Ponts et Chaussées.
La situation devenait pénible et même dangereuse pour les usagers, lorsque la neige restait sur place, et, que la gelée persistait. Pour ceux, qui comme nous, empruntaient la route, les chutes étaient fréquentes et devenaient dangereuses.
Un jour de décembre 1932, la route était couverte par une épaisse couche de neige et les congères s'étaient formées aux endroits cités.
Ce matin-là, le facteur et moi nous roulions avec prudence.
Lorsque nous sommes arrivés au bas de la côte de Carnelle, je me suis retourné pour voir si le facteur me suivait : la route était déserte : pas de facteur en vue.
Abandonnant mon vélo, retournant sur mes pas, je l’ai découvert coincé dans le fossé, ne sachant se dégager, entravé qu'il était par son vélo, sa grosse sacoche pleine de courrier, son grand caban et les deux porte-bagages chargés de petits colis.
Cette situation, si elle était cocasse, aurait pu néanmoins être dramatique. Heureusement, il n'en fut rien.
Le facteur avait dérapé, ne sachant plus diriger son vélo, il était allé droit au fossé rempli de neige qui recouvrait la campagne, et que le vent avait particulièrement amassé en cet endroit.
Après avoir tiré mon ami du fossé, il fallut bien prendre son parti de cette mésaventure et en rire, car elle pouvait arriver à tout le monde, c'étaient les risques du métier et les accidents de la route de cette époque.
Le facteur de Presles avait fini sa journée au bureau des postes de Châtelineau, vers deux heures de relevée, mais il avait encore à s'allonger cinq kilomètres pour rentrer à la maison. C'était normal en ce temps-là pour tous les travailleurs qui faisaient des journées de douze ou quatorze heures.
À cette époque, un facteur nommé François TABARY, demeurant à Châtelet, Place Saint Roch, assumait la tournée de l'après-midi.
Cet agent des postes faisait sa tournée à pied, montant tous les jours à Presles, vers les trois heures de relevée. Il ne distribuait que du courrier, s'en revenant par le même chemin, vers dix-neuf heures.
Le métier de facteur d'aujourd'hui n'est plus du tout comparable à celui du temps passé.
1 Publié en 1989 in Us et Coutumes I
5