Nos vieux marronniers
Nos vieux marronniers 1
Du d'zeus dès Rotches où, aujourd'hui, mes pas m'ont conduit, le paysage de la vallée est là, qui s'étale devant moi. Mon regard s'arrête sur le groupe des marronniers d'Inde des Prés Burnaux, témoins centenaires des faits et gestes du passé.
Est-ce long ou court, cent ans, car c'est toute une vie ?
Et Dieu seul sait qui a pris l'initiative de planter en rond les marronniers en cet endroit. Ceux qui les ont plantés sont certainement disparus de ce monde depuis longtemps ; eux, les marronniers sont toujours là, car ces arbres ont une longévité de deux ou trois siècles.
Oui, comme l'ancêtre qui prend soin de la génération qui le remplacera quand l'heure de disparaître à son tour sonnera à l'horloge du Temps, pour l'instant ils veillent sur ceux qui leur ont donné le droit de vivre et qui dorment du repos éternel dans le cimetière tout proche.
Nous pensons que la plantation des marronniers a été faite par le Comte Eugène d'OULTREMONT, sinon avant même par le Comte Charles d'OULTREMONT, grand admirateur et réalisateur du beau et des arts. Il pouvait en son temps voir, en les Près Burnaux, un avant-goût de son parc tout proche. Cette prairie était sa propriété et le chemin qui la traversait était privé et délimité par des bornes portant l'écusson O.P. (Oultremont Presles).
Que d'histoires les marronniers pourraient nous conter s'ils pouvaient parler ? Peut-être, entre-eux, se parlent-ils dans leur langage qu'il nous faut deviner selon le murmure ou le bruissement de leurs frondaisons.
Ils ont été témoins de tant de choses, de faits, de gestes, pendant un siècle que nous ne pourrions tout conter en cette page.
En nos temps de modernisme et de facilités, ceux qui aiment les arbres, les grandes frondaisons, les villages qui se reposent dans la paix champêtre, ceinturés sur les hauteurs par des bois où dans le fond du val, ceux-là donc trouveront, ombragée d'essences forestières des plus communes, la rivière aux eaux limpides et murmurantes tandis que sur ses berges croît une flore encore sauvage. Oui, ils trouveront un peu de tout cela dans le site des Prés Burnaux où, à un méandre de la rivière, les vîys maronîs (vieux marronniers) s'épanouissent en majesté, offrant au visiteur leurs frondaisons inattendues dans cet endroit du village où règne le calme dans un air encore pur.
Le site des Prés Burnaux a déjà été beaucoup trop saccagé.
Il y a un demi-siècle, cet endroit se présentait à l'œil sous un tout autre aspect que celui d'aujourd'hui. Les maronîs furent témoins et virent disparaître de beaux grands sapins isolés près de l'école communale, de même que d’autres en bouquet en face de chez MARIQUE et d’autres encore, en massif, adossés au cimetière et près du pont de la Biesme. Ils ont été abattus, privant le site de sa décoration. La présence du groupe de marronniers, heureusement conservés, atténua tant soit peu par son ampleur et sa majesté, le vide causé par ce massacre.
D'autres grands peupliers bordant la rivière connurent le même sort, et le dernier marronnier planté dans la cour de l'école, en pleine jeunesse et qui ne demandait qu'à croître, tomba néanmoins sous la hache du bûcheron.
Nos vîyes maronîs vécurent seuls dans la tristesse, pleurant leurs beaux-frères, les sapins et les peupliers trop tôt disparus.
Le Temps passa, mais ne voilà-t-il pas qu'un jour, il y a quelques années, le projet fut avancé de supprimer aussi nos vîys maronîs qui, soi-disant, devenaient dangereux. Cette idée absurde ne serait jamais venue à l'esprit d'aucun vieux Preslois, tant ces arbres font partie de la vie communale. Des protestations, des réactions, tant de villageois que des étrangers, se firent entendre, s'opposant à l'abattage de ces arbres.
Certains groupes se déclarèrent leurs champions et, pour ma part, j'en pris la défense en suggérant qu'au lieu d'abattre nos chers vieux marronniers des Prés Burnaux, il fallait les conserver, les soigner et les régénérer.
Leur abattage n'était pas à préconiser, car le site, s'il est beau en son état actuel, serait devenu pauvre et dégradé lorsqu'ils auraient été jetés bas. Car une vie d'arbre, c'est long et ça représente le plus souvent plus de temps que la durée de vie de celui qui un jour le couchera.
On n'en parla plus et on écouta les conseils de la sagesse en conservant, élaguant, soignant les arbres.
Le site parut dénudé, mais les marronniers restés en place dressant vers le ciel leurs moignons comme des bras qui implorent, reprirent une nouvelle vie. Dans quelques années, les nouveaux jets deviendront des branches et prendront l'ampleur des frondaisons d'antan. C’est une victoire des écologistes !
À notre avis, il y aurait grand intérêt pour nos villageois comme pour les étrangers, à ce que la partie du chemin qui passe entre les marronniers soit détournée sur les côtés, de façon à en faire un rond-point qu'un muret de moellons délimiterait.
Sous les marronniers, quelques plantes arbustives basses, à feuillage persistant et florifère, seraient plantées, ainsi que quelques autres essences forestières qui dissimuleraient le cimetière et l'école par leurs frondaisons persistantes.
Je suggérerais de voir mettre sous les marronniers l'ancien Bon Diè Djîle, ce vieux calvaire qui était planté jadis au débouché du chemin en face de l'entrée du parc.
Je souhaiterais aussi la mise en place, près des marronniers, du monument à nos braves soldats morts pour la Patrie lors des deux guerres mondiales, plutôt que de le voir relégué dans le vieux cimetière, où rares sont ceux qui lui font visite.
Enfin et heureusement, nos vîys maronîs nous restent et, s'ils sont bien soignés, entretenus, ils peuvent encore être en vie dans deux siècles ; que de faits et gestes ils verront encore, mais nous, nous ne serons plus au r'cwè dè rotches pour vous les raconter 2.
Cliché DOC068
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1 Publié en 1981 in Il était une fois…
2 Ces textes ont été écrits dans les années 70. Malheureusement, le site des Prés Burnaux a été complètement dénaturé par la construction de la maison du Docteur Horban et l'établissement de l'école Saint Joseph. Le mini-stade n'a pas embelli le site. Par ailleurs, au début des années 2000, il fallut se résoudre à abattre les neuf marronniers devenus réellement dangereux. Que de protestations… Mais il fallait agir… L'administration communale et l'ASBL Patrimoine Preslois ont fait replanter cinq marronniers qui, nous l'espérons, témoigneront du passé. Mais ces dernières années, un champ de maïs a remplacé la prairie Marique. Il paraît que c'est plus rentable que de faire paître quelques vaches ! Vraiment, les Prés Burnaux d'antan ont disparu et c'est bien dommage. (Ndlr. Fauchés par une voiture deux arbres ont été remplacés par M. Victor Gravy, en 2009)